Phocas a écrit :
A la suite de quelques lectures sur le sujet, j'ai l'impression que le communisme dans la pratique ne peut être autrement que sanglant.
Vous y répondiez vous-même plus tôt:
Phocas a écrit :
Tout d'abord, le communisme a un sens, il doit arriver à quelque chose; pour cela, il faut transformer la société et renverser les élites dirigeantes, pour permettre l'émergence de la société communiste. Le problème est que avant d'atteindre cet objectif, il faut franchir de nombreuses étapes. Le franchissement de ces étapes se fait par la violence.
Le Manifeste est très clair sur le moyen:
"Ils [les communistes] déclarent ouvertement que leurs fins ne peuvent être atteintes que grâce au renversement par la violence de tout l'ordre social du passé". Le texte fondateur du marxisme justifie le passage de la société inégalitaire à la société sans classes par l'usage de la violence dans un contexte révolutionnaire en toile de fond. La violence étant théorisée, toute velléité d'application par la voie révolutionnaire ne peut tourner mêmement qu'une révolution de Velours.
La violence est justifiée par la violence (cf.
Les Mains sales que publie Sartre en 1948, qui a d'ailleurs beaucoup évolué tout au long de sa vie, notamment sur cette question de la violence), celle issue du capitalisme. Une violence supposée à la fois plus intense et surtout plus durable que la première. A un état de fait pluriséculaire est opposé une phase d'une durée indéterminée mais au terme de laquelle les inégalités sont censées disparaître. Bref, un mal pour un "Bien" (la critique libérale politique conteste à la fois le moyen mais aussi le but, dans ce que la liberté individuelle ne peut être assujettie à un Bien, quel qu'il soit).
La révolution
"par la violence" est assumée. Mais les conditions pratiques de cette révolution ne sont pas théorisées. C'est la porte ouverte à toutes possibilités. La répugnance au sang est déjà exclue par la légitimité - par le texte du moins - de la violence. De là, la question est celle de son ampleur. Mais cela n'a que peu d'importance dans une révolution. Il y a un but prétextant un "Paradis" (pour reprendre la citation de Milan Kundera de la page 1 du sujet), un monde futur idéalisé. La seule question viable doit alors être celle de parvenir à ce but. Mais la conquête du pouvoir par le prolétariat est longue. Après une première révolution ayant permis l'accession au pouvoir par les chefs communistes, un parti doit organiser le prolétariat. Il est censé préparer l'avènement de la société sans classes en URSS. Voici comment Staline le présente:
"Le Parti est la forme suprême d'organisation du prolétariat. Il est le facteur essentiel de direction au sein de la classe des prolétaire et parmi les organisations de cette classe".
Il sait le risque qu'il y a à évoquer une quelconque direction. Alors vient cette précision:
"Mais il ne s'ensuit nullement qu'on puisse considérer le Parti comme une fin en soi, comme une force se suffisant à elle-même. Le Parti n'est pas seulement la forme suprême de l'union de classe des prolétaires - il est en même temps entre les mains du prolétariat, un instrument pour la conquête de la dictature, lorsqu'elle n'est pas encore conquise; pour la consolidation et l'extension de la dictature, lorsqu'elle est déjà conquise [...]. Le Parti est nécessaire au prolétariat avant tout comme état-major de combat, indispensable pour s'emparer victorieusement du pouvoir".
Staline conclut que le parti n'est qu'éphémère, qu'il n'a pas vocation à durer:
"Le prolétariat a besoin du Parti pour conquérir et maintenir sa dictature. Le Parti est l'instrument de la dictature du prolétariat. Il s'ensuit donc que la disparition des classes et le dépérissement de la dictature du prolétariat doivent aussi entraîner le dépérissement du Parti".
En somme un entre-deux, de la révolution à la société sans classes, égalitaire. Cette phase intermédiaire est souvent - le cas de l'URSS, peut-être mais avec des nuances tant les buts sont flous du Cambodge des Khmers Rouges) - une dictature épurant la société de ses membres privilégiés. Mais le pouvoir a une force d'attraction considérable. D'où la durabilité de cette phase en URSS au XXème siècle. D'où aussi des bilans chiffrés effroyables dont de multiples livres se sont fait écho. Et il y a une tension permanente au sein du parti: sa légitimité ne risque-t-elle pas d'être contestée lorsque la bourgeoisie aura été frappée ? Lucide, Freud écrit en 1930 (
Malaise dans la civilisation):
"On se demande juste avec inquiétude à quoi s'attaqueront les Soviets quand ils auront exterminé leur bourgeois".
On remarquera qu'au moins quatre explications se dégagent:
- la théorisation dans le Manifeste de l'usage de la violence.
- un marxisme qui n'a pas une fin en soi malhonnête. Raymond Aron la considérait comme noble, ce qui aurait fait selon lui le malheur des intellectuels qui soutenaient les régimes qui s'en réclamaient.
- une phase intermédiaire, la dictature du prolétariat, où l'attraction pour le pouvoir justifie toujours cet état de fait qui ne répugne pas à la violence.
- un cercle vicieux qui s'installe une fois que la minorité privilégiée a été dépossédée ou tuée, la violence appelant souvent la violence.
Voilà des pistes qui pourraient être l'objet de réflexions plus profondes. Le sujet a fait l'objet de kilomètres de livres. Il faudrait lire tous les théoriciens du communisme, ceux qui se réclamèrent d'eux ou de cette forme d'organisation sociale, enfin les intellectuels qui ont toujours expliqué les raisons de leur engagement.