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... La spécificité allemande me semble surtout venir du fait que cette conception biologique est très restrictive et ne prend en compte que la "germanité" ce qui, dans un contexte de nationalisme exalté qui lui-même se comprend très bien à travers ce que peche a rappelé.
Je précise que je connais assez bien le côté français de la question (ma spécialisation), beaucoup moins bien le côté allemand.
J'ai travaillé sur la pensée "raciale" de Renan (article) , et ma conclusion était que le mot de race chez Renan n'a pas de substrat authentiquement biologique comme dans la démarche allemande (je suis d'accord que cette dimension bio coexiste avec une dimension culturelle en Allemagne, ce que je dis, c'est qu'elle n'est pas présente, ou pas au même degré en France).
Le problème quand on discute de cette question est que le mot de race recouvre différentes acceptions selon les époques, les lieux, et même les personnes et qu'il faut examiner de près ce qu'il recouvre avant de poser que la pensée de tel ou tel est vraiment raciste au sens moderne du terme.
Chez Renan, donc, la définition de la race n'est pas biologique (le livre de Renan sur lequel je me base est "La Réforme intellectuelle et morale").
Dans ce livre, entre autres, il passe en revue les causes de la défaite de la France en 70.
Selon lui, et à titre de rappel, la principale cause de cette défaite, c'est l'égalitarisme démocratique qui a gangrené le pays suite à la Révolution. Renan propose donc comme remède le retour à une monarchie constitutionnelle, l'abolition du suffrage universel, l'élection censitaire d'une chambre de notables, le respect des hiérarchies.
Mais à ces explications purement politiques, il superpose une explication apparemment raciale: si l'égalitarisme démocratique s'est imposé, c'est en résultat d'une évolution ethnique de la population française: la dominante nordique germanique qui s'était établie suite aux invasions du premier millénaire et qui avait (selon lui) donné naissance à la noblesse et à la féodalité est en train de succomber à l'offensive démocratique des populations latines: "la France comme l'Angleterre est en train d'expulser son élément germanique, cette noblesse fière, obstinée, intraitable".
Voilà apparemment une pensée clairement raciale, sinon raciste, qui reprend d'ailleurs à peu de chose près les théories sur la noblesse = Francs, le peuple = Gaulois du marquis de Boulainvilliers (je résume schématiquement).
Or si l'on cherche à décrypter dans ce que dit Renan, ce qu'il entend par germanité, on constate que si la noblesse, c'est les Francs germains, la germanité... c'est la noblesse. C'est à dire que la germanité pour lui est prouvée simplement par le fait d'appartenir à une élite dominante guerrière.
Aucune référence à des critères biologiques rigoureux style certificat d'aryanité et extraits de naissance d'ancêtres sur 4 générations ou plus: dans l'approche de Renan, le seul fait d'appartenir à l'élite nobiliaire vous qualifie ipso facto comme de race germanique/supérieure. En plus du fait que c'est un bel exemple de logique circulaire/tautologique (on est de race supérieure si l'on est dominant, et les gens de race supérieure ne peuvent être que dominants), on voit que le contenu de cette supériorité raciale est en fait politique, non biologique, puisque la condition nécessaire et suffisante pour être considéré comme de race germanique, c'est de détenir le pouvoir.
Et donc, j'aurais tendance, jusqu'à preuve du contraire
, à être de l'avis de Poliakov sur l'importance spécifique du critère biologique de la race dans la pensée allemande.
Anecdotiquement, le mot "antisémitisme" serait selon lui une invention allemande, d'un certain Wilhelm Marr, ex socialiste typiquement passé à droite, mot qui se serait ensuite répandu rapidement en Allemagne et en Europe.