Pédro a écrit :
Sans parler de la débauche délirante de moyens mis par les Américains dans le programme Apollo...
Débauche de moyens, certes, mais aussi le fait que le programme Apollo était à l'extrême pointe des savoir-faire de la technologie de l'époque.
Ce n'est certainement pas le seul indice, mais il y a en particulier le fameux problème des alarmes informatiques sur le LEM au moment où Armstrong allait se poser sur le sol lunaire :
Alors qu'il est en approche, il signale qu'il a une alarme (disons n°6062) affichée sur son ordinateur de calcul de trajectoire, qui continue néanmoins à afficher ses calculs et à piloter le LEM. En salle de contrôle le responsable "calculateur" regarde la liste de ses alarmes, constate qu'il s'agit d'un problème de saturation de l'ordinateur (qui ne peut accomplir en même temps toutes les tâches en temps réel qu'on lui demande) et indique d'ignorer l'alarme. Il y en aura une seconde quelques instants plus tard, il fera la même réponse sans être trop certain de ce qui se passe dans le détail, mais sans inquiétude. (On analysera plus tard que l'ordinateur a mis fin à une tâche de priorité basse, pour pouvoir continuer à assurer la tâche de guidage.)
Or on se trouve là sur les concepts informatiques les plus évolués du moment. Le responsable informatique du projet a innové : par exemple il a formalisé ce qu'on appelle "le cycle de vie du logiciel" (de la spécification générale jusqu'au test global, en fait il a formalisé les bases de l'assurance qualité des logiciels) et par ailleurs il a amélioré (je me demande si ce n'était pas une femme ingénieur, sur ce point particulier) le module temps réel, celui qui gère le travail de plusieurs tâches en même temps - en leur allouant un temps d'accès à l'unité centrale - en y intégrant plusieurs niveaux de priorité, chaque tâche en recevant un, ce qui permettait d'éviter un blocage par saturation de l'unité centrale.
(Tout ça avec une programmation en langage machine, disons en binaire, pour simplifier. Il est parfaitement exact que la capacité informatique de ce calculateur embarqué - ce n'était pas le seul du projet, il y en avait un ou plusieurs, j'ai oublié, sur la fusée en orbite - ne dépassait pas celle d'une calculatrice de collège actuelle.)
ça parait anecdotique, mais ce que je veux souligner c'est qu'au delà des moyens financiers, Apollo s'est appuyé sur les innovations technologiques les plus récentes, certaines même développées pour le projet (mais à partir de l'état de l'art : cinq ou dix ans plus tôt, le calculateur du LEM, autant sur le hard que sur le soft, on n'aurait tout simplement pas su faire, en tous cas pas dans des délais aussi courts.) C'était possible à cette date là mais pas avant, en somme. Et donc - c'est là que je voulais en venir - les Soviétiques n'avaient rien d'équivalent, à ce moment, pour résoudre les mêmes problèmes technologiques.
La sonde Vostok - je crois que c'est ce nom là - lancée en même temps que Apollo pour fixer l'attention médiatique, s'est écrasée quelque jour plus tard sur le sol lunaire. Les Soviétiques n'étaient tout simplement pas au niveau requis. (C'est l'indice d'un écart technologique sur l'électronique et l'informatique qui ne fera que s'accentuer.)
Pour la petite histoire, sur ces alarmes du LEM, les astronautes constateront au moment de redécoller que l'interrupteur d'activation du guidage nécessaire pour le rendez-vous en orbite était resté sur "ON" et donc le calculateur de bord, qui se trouvait confronté avec des demandes de calcul qui dépassaient ses possibilités, a simplement cessé de traiter la tâche du guidage orbital. De toute façon, quelques minutes plus tard, Armstrong constatait que le lieu d'alunissage prévu était trop cabossé, et virait le guidage informatique pour reprendre les commandes en manuel. (Il tangentera le sol pendant près d'une minute, et se posera sur le premier endroit plat, avec exactement 7 secondes de carburant restant sur le total maximal alloué pour l'alunissage.)