D'ailleurs -tiens, je vais essayer de rebondir un peu vers l'histoire des idées
-ce n'est peut-être pas inintéressant, l'histoire du terme "idéologie".
Les "idéologues", à l'origine, c'est un groupe d'intellectuels de la Révolution française dont la figure de proue est
Destutt de Tracy. Ils sont assez influencés par Condillac, l'une des lointaines sources de la psychologie moderne, et le bouleversement politique qu'ils vivent les incite à envisager l'étude des formes de pensée, des idées : En gros, comment les idées impactent-elles les hommes et les sociétés ? Donc à l'origine, l'idéologie, c'est plutôt une science, ou un programme de recherche.
C'est Bonaparte qui utilisera pour la première fois, dit-on, le terme "idéologue" dans un sens péjoratif. Disons qu'il utilise le terme un peu au sens où on utilise parfois le terme "intellectuels" : des brasseurs d'idées -c'est le cas de le dire.
Ensuite, c'est Marx qui reprendra le terme, et qui lui donnera le sens qu'il possède aujourd'hui. Par idéologie, Marx comprend la philosophie germanique dominante de son temps, c'est-à-dire l'idéalisme hérité de Hegel et popularisé / systématisé par Feuerbach ("L'Idéologie Allemande"). Le terme est polémique, chez Marx, puisqu'il s'agit de lui opposer la science, en l'occurence le matérialisme historique, fondé sur l'économie politique. C'est donc Marx qui, le premier, utilise le terme "idéologie" pour qualifier une doctrine, une théorie fausse, mais fausse au sens de "philosophique", "purement spéculative", à laquelle s'oppose la science, qu'on désigne alors comme ayant capacité et vocation à dire le vrai -ou du moins, le valide et empiriquement vérifiable.
Et c'est cette même dichotomie idéologie / science que les adversaires du marxisme reprendront ensuite à leur compte, et dans les mêmes termes, mais en le retournant contre le marxisme lui-même. C'est cette dialectique que
Mannheim analyse lorsqu'il définit l'idéologie comme une théorie scientifique réfutée, mais qui perdure dans le grand public.
Bon, il y a des travaux plus récents sur l'idéologie -puisque les auteurs "libéraux" ont usé et abusé du terme- l'un des meilleurs que je connaisse -et une référence, malgré son ton inévitablement polémique- est celui de
J. Baechler. Sur les idéologues classiques, la référence est
F. Picavet.