Dans le Coran, il y a des soucis de clarté.
(Etant donné la différence qui existe parfois entre deux traductions, je mets systématiquement, l'une après l'autre les traductions Hamidullah et Chouraqui, qu'on trouve facilement sur le net :
http://www.e-qra.com/coran ;
http://nachouraqui.tripod.com/id16.htm)
* L'interdit se trouve dans plusieurs versets :
Citer :
II, 219 :
Ils t'interrogent sur le vin et les jeux de hasard. Dis: ‹Dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens; mais dans les deux, le péché est plus grand que l'utilité›.
Ils t’interrogent sur le vin et le jeu.
Dis: « Grave est l’offense des deux,
malgré leur attrait pour les hommes.
Mais leur offense est plus grave que leur attrait. »
Citer :
V, 90
Ô les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu'une abomination, oeuvre du Diable. Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez.
Ohé, ceux qui adhèrent,
le vin, le jeu, les stèles, les flèches
sont une abomination, l’oeuvre du Shaïtân:
écartez-vous d’eux.
* L'ivresse est condamnée, surtout au moment de la prière, qui exige de la pureté.
Citer :
IV, 43
Ô les croyants! N'approchez pas de la Salat [prière] alors que vous êtes ivres, jusqu'à ce que vous compreniez ce que vous dites, et aussi quand vous êtes en état d'impureté [pollués] - à moins que vous ne soyez en voyage - jusqu'à ce que vous ayez pris un bain rituel.
Ohé, ceux qui adhèrent,
n’entrez pas en prière en étant ivres,
quand vous ne savez pas ce que vous dites,
ni pollués sauf les voyageurs
avant de vous laver.
* Toutefois, la boisson enivrante est aussi vue dans la sourate des abeille comme un don divin (les versets précédents marquent aussi les dons de Dieu)
Citer :
XVI, 67
Des fruits des palmiers et des vignes, vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent. Il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent.
Du fruit des palmiers et des raisins
vous tirez du vin et une subsistance excellente,
C’est en cela un Signe, pour un peuple qui discerne.
* Dans la sourate LXXVI, 21 (l'homme) et dans la LII, 23, on trouve la mention de boisson dans la description du paradis
Citer :
LXXVI, 21
Ils porteront des vêtements verts de satin et de brocart. Et ils seront parés de bracelets d'argent. Et leur Seigneur les abreuvera d'une boisson très pure.
Ils portent des vêtements de soie verte, des brocarts,
et sont parés de bracelets d’argent.
Leur Rabb les abreuve de pures boissons.
Citer :
LII, 23
Là, ils se passeront les uns les autres une coupe qui ne provoquera ni vanité ni incrimination.
Ils échangent là des coupes,
sans futilités, ni iniquités.
On retrouve des contradictions dans les hadiths.
A partir de là, les interprétations ont été variées. Pour beaucoup d'exégètes, l'interdit porte moins sur le vin ou la consommation de boissons alcoolisées que sur l'ivresse.
Quant à son respect, il a évidemment beaucoup varié ; le vin est même souvent vu par les sufis comme un moyen d'atteindre à un état supérieur de connaissance de la divinité, au même titre que la danse par exemple. En Iran, de nombreux poèmes, parfois mystiques, célèbrent le vin, ainsi que l'amour, la danse et la musique. Les plus célèbres sont bien sûr ceux d'Omar Khayyam. Voilà quelques exemples tirés des
Rubayyat (traduction de Franz Toussaint, 1924, trouvée sur wikisource)
Citer :
II. Que vaut-il mieux ? S’asseoir dans une taverne, puis faire son examen de conscience, ou se prosterner dans une mosquée, l’âme close ? Je ne me préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître et ce qu’il fera de moi, le cas échéant.
III. Considère avec indulgence les hommes qui s’enivrent. Dis-toi que tu as d’autres défauts. Si tu veux connaître la paix, la sérénité, penche-toi sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans l’infortune, et tu te trouveras heureux.
IV. Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d’être heureux aujourd’hui. Prends une urne de vin, va t’asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.
VI. Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois, mais, qui s’en délecte chaque jour ? Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin est ciselée une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de savourer.
VII. Notre trésor ? Le vin. Notre palais ? La taverne. Nos compagnes fidèles ? La soif et l’ivresse. Nous ignorons l’inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos cœurs, nos coupes et nos robes maculées n’ont rien à craindre de la poussière, de l’eau et du feu.
XXV. Au printemps, je vais quelquefois m’asseoir à la lisière d’un champ fleuri. Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut. Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu’un chien.
LXXXII. On me dit: « Ne bois plus, Khayyâm ! » Je réponds: « Quand j’ai bu, j’entends ce que disent les roses, les tulipes et les jasmins. J’entends, même, ce que ne peut me dire ma bien-aimée. »
CXXII. Je bois du vin comme la racine du saule boit l’onde claire du torrent. Allah seul est Allah. Allah seul sait tout, dis-tu ? Quand il m’a créé, il savait que je croirais au vin. Si je m’abstenais de boire, la science d’Allah serait en défaut.
CXXVI. Le vin a la couleur des roses. Le vin n’est peut-être pas le sang de la vigne, mais celui des roses. Cette coupe n’est peut-être pas du cristal, mais de l’azur figé. La nuit n’est peut-être que la paupière du jour.
CXXXVIII. Quelle âme légère, celle du vin ! Potiers, pour cette âme légère, faites aux urnes des parois bien lisses ! Ciseleurs de coupes, arrondissez-les avec amour, afin que cette âme voluptueuse puisse doucement se caresser à de l’azur !
CLVI. Tous les royaumes pour une coupe de vin précieux ! Tous les livres et toute la science des hommes pour une suave odeur de vin ! Tous les hymnes d’amour pour la chanson du vin qui coule ! Toute la gloire de Féridoun pour ce chatoiement sur cette urne !
Mais on trouve aussi des références fréquentes au vin dans la poésie de Saadi, et les représentations d'échansons (
http://commons.wikimedia.org/wiki/File: ... OA7130.jpg) - qui ont souvent des connotations homoérotiques, les lèves de la bouteille ou de la coupe étant souvent rapportées à celles de l'amant - ou de scènes d'ivresses (pas moyen de mettre la main sur l'image à laquelle je pense !) sont assez fréquentes dans la peinture persane. De plus, les coupes ou autres vaisselles de luxe portent assez souvent des versets célébrant le vin, comme l'a montré (avec d'énormes exagérations parfois) AS. Melikian-Chirvani dans l'axpo du Louvre sur les Safavide (Trésor du Monde) l'an dernier. Pour lui, cet usage du vin remonte à des pratiques anté-islamiques, mais ses démonstrations sont parfois contestables.
Dans le monde arabe, on trouve souvent des représentations de porteurs de gobelets ou de bouteille, mais je ne sais pas si on trouve la même dévotion au vin dans la littérature. Il semble que les dynasties rigoristes almoravides et almohades en aient strictement interdit l'usage, ce qui tendrait à indiquer qu'il était répandu auparavant. Peut-être y a-t-il des éléments dans les descriptions des fêtes sous les fatimides ?