Voici quelques informations sur la question tirées d'un livre de Eva Keuls, déjà mentionné. Eva Keuls est professeur d'études classiques dans une université américaine et son livre traite de la situation des femmes dans l'Athènes du 5ème et 4ème siècle.
Deux chapitres de ce livre sont consacrés à la prostitution. Il est en anglais et n'a pas été traduit.
Pour ce qui est de ses sources, l'auteur se base sur des textes d'auteurs de l'époque mais elle fait aussi une large place à l'étude des arts plastiques, sculpture, fresques mais surtout un grand nombre de poteries, et de ce fait son livre est abondamment illustré.
La situation des femmes à Athènes était moins favorable qu'à Sparte, où la bonne santé des femmes et leur capacité à exercer des responsabilités masculines en l'absence des hommes partis à la guerre étaient jugées nécessaires à la production d'enfants solides et à la bonne marche de la cité. La sitation des prostituées athéniennes doit donc être vue dans le contexte plus général de la situation des femmes dans cette ville.
Lorsqu'on évoque la prostitution à Athènes, le nom d'Aspasie est immanquablement cité; l'ex-prostituée et concubine de Périclès étant présentée comme une femme cultivée et intelligente qui participait, quasi sur un pied d'égalité avec les hommes, aux débats de haut niveau entre les grands esprits de son époque.
En fait, les propos de prostituées rapportés par des auteurs de l'époque sont essentiellement des plaisanteries obscènes et le cas d'Aspasie n'était en rien typique des prostituées de son époque.
En effet, Aspasie était une femme libre, certes étrangère puisqu'originaire de Millet, alors que les prostituées étaient essentiellement des esclaves--les esclaves domestiques étant ipso facto à la disposition sexuelle de leurs maîtres. Keuls souligne qu'il n'est pratiquement jamais fait mention de prostituées issues de la classe des citoyens athéniens.
L'exploitation des maisons closes était par contre une activité parfaitementé admise pour les citoyens de bonne réputation. Théophraste mentionne la propriété de bordels comme un commerce ordinaire.
Aspasie semble avoir été, d'après ses contemporains, une femme plus gracieuse que vraiment belle mais avisée et bonne gestionnaire qui fut un temps proxénète et avait de nombreuses filles travaillant pour elle. En femme de tête, elle se chercha, et se trouva ensuite en la personne de Périclès, un protecteur influent et se remaria avec un homme aisé après la mort de celui-ci.
Corinthe était particulièrement renommée, plus qu'Athènes, pour ses prostituées. Une catégorie la plus basse de prostituées était nommée ''chamaitype'' cad frappeuse de sol; on peut donc supposer qu'elles exercaient leur activité à même le sol, soit en plein air, soit dans des réduits assez semblables à ceux de la prostitution romaine.
Plusieurs textes de l'époque donnent des précisions intéressantes sur la vie des prostituées--Aristophane, Platon--l'auteur de comédies, pas le philosophe. Parmi ces oeuvres, le ''Contre Nearea'' du pseudo-Démosthène évoque en détail une carrière de prostituée sans doute plus typique que celle d'Aspasie.
Néaréa est accusée par ce texte d'avoir caché son statut d'esclave et d'ex-prostituée et de s'être fait passer pour une respectable athénienne. Le texte raconte qu'elle aurait été achetée toute petite fille par une proxénète et ''entraînée'' à la prostitution par elle ; c'est une pratique qui semble avoir été courante, les proxénètes repérant les beaux enfants d'esclaves, les achetant et les mettant sur le marché à un très jeune âge, le nom pour cette catégorie spéciale de prostituées étant ''hypoparthénos hetaera'', cad quelque chose comme ''prostituée pas encore nubile''. La proxénète l'installa à Corinthe et en retira beaucoup d'argent. Elle la revendit ensuite en commandite à deux clients, puis la jeune fille fut rachetée par un autre client, Phrynion, qui la ramena à Athènes. Elle est la concubine--pallake--de ce Phrynion mais, assistant avec son compagnon à un banquet dit symposium--voir ci-dessous--et son compagnon ayant trop bu, quatre participants du symposium profitent de ce que Phrynion est assommé par l'ivresse pour la violer, à la suite de quoi Phrynion la maltraite, et elle le quitte. Elle retourne alors à la prostitution mais y adjoint l'extorsion, faisant croire à ses clients pour en tirer plus d'argent qu'ils ont commis l'adultère avec une citoyenne athénienne mariée, d'où la dénonciation du pseudo-Démosthène.
Un symposium était un banquet durant lequel un groupe d'homme mangeait, buvait, discutait et avait des rapports sexuels publics avec des prostituées payées pour la circonstance, qui appartenaient le plus souvent à la catégorie plus relevée de prostituées nommées hetaera.
Ces banquets/orgies étaient organisés dans la partie des demeures des citoyens réservée aux hommes--androne--et si l'épouse veillait à leur organisation, elle n'y participait évidemment pas, alors que les pallake y étaient admises. C'est dans ces banquets que les jeunes athéniens recevaient généralement leur initiation sexuelle, en famille cad en compagnie de parents masculins, avec des femmes plus âgées.
Les coupes à boire--kylix--utilisées en particulier lors de ces banquets représentent de nombreuses scènes de prostitution, soit des scènes de symposium, soit d'autres épisodes typiques:
accueil des clients, négociation du prix, clients passant en revue un groupe de femmes ou soulevant leurs jupes pour faire leur choix, danseuses et joueuses de flute en symposium, prostituées à leur toilette, clients jouant au jeu de kottabos, buvant--et même vomissant tandis qu'une prostituée leur tient la tête--et bien entendu de nombreuses scènes sexuelles, certaines pratiques hard paraissant extraites de films pornographiques contemporains.
Si dans certaines de ces scènes, les relations clients-prostituées, y compris sexuelles, semblent amicales, d'autres scènes mettent en scène des violences des clients sur les prostituées--par exemple plusieurs clients forçant physiquement une prostituée visiblement récalcitrante à une pratique sexuelle--des clients les frappant avec un bâton, avec une sandale, donnant des coups de pied, les tirant par les cheveux, etc.
Ue citation dudit Démosthène parlant du déroulement de ces symposium et du rôle qu'y jouent les prostituées jette un éclairage cru sur ce sujet ''nous nous réunissons, un groupe d'homme en érection, et nous frappons et étranglons qui nous voulons''.
A Athènes, le rapport de forces entre client et hétaire était particulièrement favorable aux hommes, qui avaient sur les prostituées l'avantage du sexe, du statut d'homme libre, de l'argent et de la classe. La fin de vie des prostituées étaient dure, les prostituées âgées étaient un sujet typique de plaisanteries cruelles dans les comédies et la culture populaire, beaucoup cherchaient à se mettre à l'abri du besoin en trouvant un homme qui les prenne comme pallake. La statue de l'époque héllénistique ''Vieille femme avec une jarre de vin'' est un témoignage émouvant de cette fin de vie difficile. Elle montre une vieille prostituée, maigre et ridée, assise et serrant sur son coeur une jarre de vin, ''son dernier amant''.
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