Arcadius a écrit :
J'ai donc du mal à voir cette morale dont vous parlez à propos des mythes - mais peut-être ai-je mal compris votre intervention ?
Il est vrai que la mythologie de Thésée se construit sur plus d'un millénaire "
...depuis les épopées archaïques -dont une s'appelait la Théséide- jusqu'à la biographie que Plutarque lui consacre dans ses "Vies parallèles"..."
Au fil du temps le mythe s'étoffe et on peut voir un Thésée, après le suicide de son père et accompagné de Pirithoüs, lutte contre les Amazones (dont il séduit la reine), combat les Centaures, tente d'enlever (lui-aussi) Hélène et même Perséphone ! Il sera récupéré par l'idéologie civique athénienne.
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ce que vous dites d'Oedipe et d'Ariane serait justifié si leurs mythes respectifs s'arrêtaient là, or ce n'est pas le cas et je serais assez d'accord avec Alain.g lorsqu'il dit que les hommes sont victimes du destin, non des actes des autres.
Les humains ne serait que les jouets du destin ? Mais le destin des hommes n'est-il pas arrêté par les dieux et divulgué par les devins ou les oracles.
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Lorsque Thésée, selon l'une des versions du mythe (d'où le problème qu'il y en ait plusieurs), abandonne Ariane, c'est sur un ordre divin et contre son gré mais les hommes ne peuvent aller contre la volonté des dieux, sous peine d'être coupable d'hubris : il abandonne donc Ariane, forcé par sa destiné qui le porte vers un autre avenir que celui d'épouser Ariane - qui devient la constellation du Diadème.
… Ou l'épouse de Dyonisos. Alors dans le mythe de Persée, il faut comprendre que les dieux accordent à Andromède ou que le destin fait d'Andromède une chanceuse dans l'amour.
Concernant les femmes "
...aider dans ces circonstances [Ariane, Médée]
signifie aimer..." (
G. Sissa). Elles sont donc doublement sous emprise (leur destin et celui de l'être aimé).
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L'aventure d'Oedipe ne s'arrête pas à son auto-punition (et encore, je trouve le terme contestable) et se poursuit jusqu'à Colone et son tombeau deviendra un endroit béni par les dieux du fait de sa fertilité. Dans le mythe, rien n'appartient aux hommes, pas même leur folie. Tout est contrôlé par une instance divine.
Arrivé à Colone, commence -à la mort d'Oedipe- les tribulations de sa fille Antigone.
Concernant Oedipe, en effet le destin frappe doublement. Oedipe adulte s'enfuit de Corinthe ayant consulté l'oracle et dans ses pérégrinations tue un homme qui s'avère être son père Laïos. La suite est connue et Oedipe roi appelle Tirésias afin de savoir pourquoi soudain son royaume est en perdition et il est évident que nul n'échappe au destin décidé par les dieux et dispensé par les devins.
«
Tirésias –
Je pars mais je dirai d'abord ce pourquoi je suis venu. Ton visage ne m'effraie pas : ce n'est pas toi qui peut me perdre. Je te le dis en face : l'homme que tu cherches depuis peu de temps avec toutes ces menaces […] se révèlera un Thébain authentique […] Il y voyait : de ce jour il deviendra aveugle ; il était riche : il mendiera […] il se révèlera père et frère à la fois des fils qui l'entouraient, époux et fils ensemble de la femme dont il est né […] rentre à présent, médite mes oracles […]Jocaste –
Va, […] Tu verras que jamais créature humaine ne posséda rien de l'art de prédire. Et je vais t'en donner la preuve en peu de mots. Un oracle arriva jadis à Laïos, non d'Apollon lui-même mais de ses serviteurs. Le sort qu'il avait à attendre était de périr sous le bras d'un fils qui naitrait de lui et de moi […] L'enfant une fois né, trois jours ne s'étaient pas écoulés que déjà Laïos lui liant les talons, l'avait fait jeter sur un mont désert. […]Oedipe –
Ah ! Comme à t'entendre, je sens soudain, ô femme, mon âme qui s'égare, ma raison qui chancelle..."
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J'ai donc du mal à voir cette morale dont vous parlez à propos des mythes - mais peut-être ai-je mal compris votre intervention ?
Je me suis mal exprimée. Dans Oedipe le destin est incontournable semble-t-il tout comme Antigone se voit affligée d'une insoumission chronique. C'est là que s'installe la loi et la morale. Pour jouer pleinement le rôle que le destin lui incombe, Antigone est obligée de se dresser contre le roi donc de se conduire comme un homme. Créon et Antigone se battent à partir de positions obstinées, inconciliables et contradictoires. Le destin joue un rôle mais le spectateur est obligé de prendre parti en fonction de lois orales (Créon) ou de valeurs morales (Antigone). Antigone ne défend pas seulement les lois non écrites qui règlent les rapports entre consanguins, elle protège aussi la coutume qui consiste à respecter les cadavres.
De la même manière, Achille contrevient-il au destin en remettant à Priam le corps d'Hector ?
Il est à noter que Créon sera pris de remords tardifs : les remords sont-ils cadeaux des dieux ou doute réservé aux hommes ?
Les mythes sont fait pour être contés mais aussi pour que leçons en soient tirées. Les spectateurs de Sophocle ne peuvent que cautionner Antigone. Il existe donc une "morale" et une "morale" est toujours le fruit du jugement des hommes. Au-dessus du destin, on se lamente et l'on s'indigne.
L'exemple de Médée est tout aussi étrange car Jason sacrifie la promesse faite à Médée contre un avenir plus sûr et prestigieux dans une maison nouvelle. Il l'avoue sans vergogne :
"
Médée –
Je t'ai sauvé, comme le savent tous ceux des Grecs […] Je l'ai tué (le dragon qui enveloppait la Toison) […] J'ai trahi mon père et ma maison […] J'ai fait périr Pélias de la mort la plus cruelle […] et t'ai enlevé toute crainte. Voilà les services que je t'ai rendus, ô le plus scélérat des hommes. Et tu m'as trahie, tu as pris possession d'un nouveau lit, toi qui avait des fils […] Mais où est-elle la foi de tes serments ? (les serments dans le contexte mythologique importaient devant les dieux)... Crois-tu que les dieux d'alors ne règnent plus ou qu'ils ont établis maintenant de nouvelles lois pour les hommes, puisque tu as conscience de ton parjure envers moi ? […] Où maintenant me tourner ? Vers le palais de mon père que j'ai trahi ainsi que ma patrie pour te suivre ? […]Jason –
Pour moi, puisque aussi bien tu exaltes outre mesure tes services, c'est Aphrodite, à mon avis, qui dans mon expédition m'a sauvé, seule entre les dieux et les hommes. Tu as l'esprit subtil mais il t'est odieux de raconter tout au long comment Eros t'a obligée, par ses traits inévitables, à sauver ma personne. […] Qu'as-tu besoin d'autres fils toi ? Mais moi, j'ai intérêt à ce que mes enfants à venir soient utiles à ceux qui vivent. Est-ce un mauvais calcul ? […] Ah ! Il faudrait que les mortels pussent avoir des enfants par quelque autre moyen, sans qu'existât la gent féminine ; alors il n'y aurait plus de maux chez les hommes."
Là encore si le coeur réprouve l'infanticide, il ne peut aussi que réprouver l'attitude qui pousse à cette extrémité. Médée revendique son rôle d'amoureuse héroïque car elle a pris tous les risques. Jason, en revanche, renvoie tout ce qu'elle a pu faire pour lui à l'influence d'Aphrodite et d'Eros. Deux visions opposées de l'amour. C'est moi affirme Médée ; l'amour n'est qu'un égarement d'origine divine rétorque Jason. Mais lorsque la pièce d'Euripide est donnée, il est évident que la part faite à Jason est belle et assurée quoiqu'il ait trahi son serment. Cependant devant un parterre mixte, à défaut de juger, une femme peut comprendre l'acte de Médée : ces fils ne sont rien que le fruit d'un amour qui au final n'a jamais été partagé. Elle aussi peu se dédouaner de ses maternités derrière les dieux qui créent un nouveau destin dans chaque enfant. Mais non, il est dit que l'acte est horrible ; Médée n'a pas même droit à une quelconque empathie. Elle place son amour au-dessus de la maternité, qu'a-t-elle à faire de deux fils issus d'un homme qui la renvoie ? Que ceci soit porté aussi à l'égarement face aux dieux ?
C'est en ces choses que je vois non un jugement mais une sorte de morale évidente. Les mythes ne sont-ils pas fait pour délacer le bien du mal ? Sinon ce ne serait à travers Euripide ou Sophocle par exemple que simples pièces accumulant sur les hommes (donc aucun besoin de légiférer, tout est permis puisque les dieux ont déjà tout tracé, nul libre arbitre) tout le panel du sordide des sens et des pensées. Les dieux ne donnent-ils pas eux-mêmes l'exemple : Cronos n'a-t-il pas lui-même été parricide puis n'a-t-il pas dévoré ses enfants ? Incestueux de plus ? Zeus n'est-il pas l'infidèle par excellence semant ça et là entre mortelles et Héra des enfants dont il engendre aussi bien souvent un destin tragique du fait de ses paternités inconsidérées ?
Si j'ai employé le mot "morale", je pensais à la dualité du bien et du mal. Nul besoin de graver sur une pierre dix commandements pour savoir au fond de nous que "
convoiter la femme de son voisin" est "
mal" : David en paiera le prix (trahison de son fils Absalon) convoitant Bethsabée, il a transgressé en se débarrassant d'Urie.
C'est un acte réprouvé par la meute si elle veut s'élever au-dessus de la condition animale et fonder un début de société. Une histoire appelle toujours une réflexion et la réflexion basique est souvent dans un premier temps de s'identifier, de prendre parti mais de s'exprimer selon les lois édictées. Il appartient donc aux hommes de se faire les censeurs des dieux et de ne pas répéter leurs actes, ce qui peut paraître étrange et qui, là encore, met l'être humain dans une position inconfortable : ce qui est permis aux dieux semble incompatible avec la loi des hommes.
Alors sur quoi se baser pour légiférer ? Là il existe une sorte de "
noeud" que je ne m'explique pas.
L'oracle d'Apollon est respecté à Delphes, on sacrifie à Athéna mais pourquoi des lois puisque l'homme ne s'appartient pas... et la femme appartient à l'homme donc tout est permis. Si dans certaines cités l'abandon des enfants est notoire, une telle manière d'agir sera-t-elle toujours de mise tant que la Grèce sera sous la coupe des dieux et Platon -par exemple- se rangeait-il du côté du destin ou des hommes heureux de se considérer comme les simples jouets des dieux ?
A ce niveau que fut-il enseigné à Alexandre ? Pourquoi l'entourer lors de sa fièvre, pourquoi des médecins puisque le destin fait qu'il faut s'y résoudre : c'est la fin ! Autant attendre qu'Atropos coupe le fil en faisant moultes libations et en remerciant les dieux d'un tel destin et se dire que mourir après tant de conquêtes est une belle mort bientôt proche de celle d'Achille. Il eût fallu se réjouir au lieu de se lamenter.
Il y a donc parfois quelques incohérences entre la croyance et les faits.
Et que penser des législateurs, de la démocratie puisque "
même la folie n'appartient pas à l'homme qui en est touché", on ne peut donc condamner. Quel tour incroyable a pu voir l'arrivée de l'ostracisme ? Si la folie n'appartient pas à l'homme, les idées non plus surtout lorsqu'elles sont un tantinet gênantes, qui peut s'ériger en juge ? Sur quels critères ?
On en revient au problème d'Antigone et Créon.
Donc mon problème est : comment s'est-on affranchi des dieux afin de poser des lois régissant une société et une cité ? Grand merci pour l'explication.