Aponie a écrit :
La première nécessité, c'est de se réchauffer auprès du feu, principe de vie fondamental. Le froid ne tue pas tant directement qu'indirectement. Jusqu'au XIXème siècle (1931 pour la population rurale), la France reste un pays dont la prédominance est rurale et agricole. En plus d'habiter à la campagne en grande majorité, beaucoup vivent de la terre et des récoltes. Aussi les périodes climatiques les plus difficiles ont-elles des conséquences désastreuses pour la population. Deux périodes en particulier: l'été et l'hiver. Que l'été soit trop sec et trop chaud, que l'hiver soit trop sec et trop rude, et les récoltes en font les frais. Et par un cercle vicieux et la loi de la cherté et de la rareté, les produits alimentaires de base augmentent excessivement. Nous ne sommes pas encore au XIXème siècle et à l'avènement de l'âge industriel de l'alimentation qui empêche que ne se produisent disettes et famines. De surcroît, des XIII-XIVème siècles au XIXème siècle, la température moyenne en Europe est plus fraîche qu'après cette date. Alors, sous-alimentée, la population, sans nécessairement mourir toujours de faim, succombe surtout sous les coups des maladies. Presque toujours, on remarque qu'en plus de la disette ou de la famine se pose le problème d'une épidémie. Les organismes considérablement affaiblis, les maladies progressent à une vitesse assez déconcertante, d'où des bilans chiffrés exceptionnels: en 1693 et 1694, la mortalité est aussi importante que lors de l'ensemble de la Première Guerre mondiale, mais le royaume est alors peuplé de 21 millions d'habitants environ, alors qu'en 1914, la population était presque doublement supérieure; en 1709, plusieurs centaines de milliers d'individus meurent de la même manière. Et encore au milieu du XVIIIème siècle où les pertes sont plus fortes encore qu'en 1693-1694. Les solutions de secours sont très difficiles à trouver: tous sont embarqués dans la même galère et je n'ai pas connaissance d'un véritable réseau de soutien mis en place par l'Etat ou toute institution non-étatique.
Ce n'est pas tout à fait exact. L'humidité excessive est plus nuisible aux populations qu'un hiver exceptionnellement rude ou un été trop chaud. En 1693 / 1694, la terrible famine qui fit autant de morts que la guerre 14 / 18 (soit un Français sur sept) n'est pas due à un hiver terrible mais à une série d'années pourries (sans parler des conflits armés qui éclatent un peu partout et qui n'arrangent pas les choses). Plusieurs étés trop frais ont amenuisé les réserves de grains. En 1693, les graines pourrissent en terre, en raison de pluies trop fréquentes et d'un ensoleillement insuffisamment. Et la dernière grande famine meurtrière éclate dès l'automne, assortie, comme toujours, d'épidémies. Ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas à manger pour tous. Mais, comme toujours dans ces périodes, les prix du grain flambent. Et tous ne peuvent pas en acheter. D'où l'hécatombe. Les graphiques réalisés avec les BMS des registres paroissiaux, partout, sont éloquents : le nombre des actes de sépultures s'envole vers les sommets alors que les baptêmes plongent dans les profondeurs. Cette inversion spectaculaire symbolise bien la crise démographique liée à ces deux années terribles.
A contrario, le "grand hyver" de 1709, qui dura presque trois mois et produisit des dégâts considérables, ne se traduit pas de la même façon. Il y a certes une augmentation de la mortalité, mais le volume des baptêmes reste stable. En vérité, si les semis d'hiver ont été ravagés par le froid, la famine fut en grande partie évitée grâce à l'orge qui put être semée au printemps. Toutefois, il est aussi intéressant de voir, toujours dans les registres paroissiaux, que la mortalité resta également élevée à la fin de cette même année 1709 et en 1710. C'est-à-dire que, malheureusement, les maladies suivirent cet accident climatique. Tout d'abord un "rhume épidémique" (probablement la grippe) qui s'installa dès février 1709 et emporta pas mal de monde dans les villes. Et ensuite, les maladies liées à la malnutrition (des voyageurs espagnols racontent avoir vu à la fin de l'été de pauvres gens paître comme des bêtes) s'attaquèrent aux plus pauvres. Comme toujours, la flambée des prix laissa sur le carreau les plus misérables. Mais malgré tout, il n'y a pas de crise démographique comme en 1693 / 1694 ou 1662 / 1663.
L'hiver froid (ou l'été très chaud) n'est donc pas néfaste aux populations. Il emporte les plus fragiles, certes. Mais, vu la diminution globale de la mortalité sur les quelques années suivantes, on peut penser que ces gens étaient déjà, pour la plupart, condamnés à plus ou moins long terme.
Je ne veux pas faire de rapprochements douteux mais c'est un peu ce qu'on a vu avec la canicule de 2003. L'été a connu un gros pic de mortalité (concernant surtout les personnes très âgées), suivi d'un gros creux les mois suivants. C'est-à-dire qu'au lieu de s'étaler, comme d'habitude, sur plusieurs mois, les décès se sont concentrés sur quelques semaines de températures "critiques".