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Message Publié : 17 Jan 2020 17:05 
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Polybe
Polybe

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Localisation : Alsace
Sur le sujet du trauma lié à la guerre, j'ai lu le très bon ouvrage de J. Shay "Achiles in Vietnam" (voir la revue Bryn Mawr ici : http://bmcr.brynmawr.edu/1994/94.03.21.html), que je recommande.

En tant que psychologue spécialisé dans le soin aux vétérans américains de la guerre du Vietnam, mais en même temps assez documenté en littérature classique, il a fait une lecture de l'Iliade au prisme de son expertise médicale. C'est très intéressant d'avoir cette perspective sur la première oeuvre de littérature européenne.


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Message Publié : 17 Jan 2020 18:50 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Pédro a écrit :
Ce n'est pas le développement de la psychanalyse qui fait apparaître le mal, elle se contente de décrire quelque chose qu'on ne savait pas vraiment nommer et analyser.

Et traiter.
Ayant eu moi-même à "expérimenter" ce type de trauma en 2008/2009 dans le cadre de missions médicales en zones tribales Pashtounes, je peux témoigner qu'il n'existait pas encore vraiment à ce moment d'accompagnement psy dédié à ce sujet, fallait s'en "dépêtrer" après extraction du contexte via des "espaces de parole" plus ou moins organisés par l'institution. Je rédige en ce moment, seulement, un mémoire (à destination en particulier des organisations ayant du personnel en zones de guerre) pour la prise en charge par l'hypnose médicale de ces syndromes.

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“Etudie, non pour savoir plus, mais pour savoir mieux. ”
Sénèque


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Message Publié : 18 Jan 2020 0:41 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Localisation : Limoges
Elviktor a écrit :
Pédro a écrit :
Ce n'est pas le développement de la psychanalyse qui fait apparaître le mal, elle se contente de décrire quelque chose qu'on ne savait pas vraiment nommer et analyser.

Et traiter.
Ayant eu moi-même à "expérimenter" ce type de trauma en 2008/2009 dans le cadre de missions médicales en zones tribales Pashtounes, je peux témoigner qu'il n'existait pas encore vraiment à ce moment d'accompagnement psy dédié à ce sujet, fallait s'en "dépêtrer" après extraction du contexte via des "espaces de parole" plus ou moins organisés par l'institution. Je rédige en ce moment, seulement, un mémoire (à destination en particulier des organisations ayant du personnel en zones de guerre) pour la prise en charge par l'hypnose médicale de ces syndromes.


Oh très intéressant.

La question est complexe et me semble au moins socialement mieux comprise qu'au début du XXI siècle. Des oeuvres cinématographiques ou des séries en parlent, c'est déjà ne première approche. En 14-18 ce que j'en ai lu c'est que les concevait rarement autrement que comme des lâches.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 30 Juil 2020 11:25 
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Jean Froissart
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Inscription : 14 Avr 2006 21:21
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Localisation : Blois
Pédro a écrit :
Elviktor a écrit :
Pédro a écrit :
Ce n'est pas le développement de la psychanalyse qui fait apparaître le mal, elle se contente de décrire quelque chose qu'on ne savait pas vraiment nommer et analyser.

Et traiter.
Ayant eu moi-même à "expérimenter" ce type de trauma en 2008/2009 dans le cadre de missions médicales en zones tribales Pashtounes, je peux témoigner qu'il n'existait pas encore vraiment à ce moment d'accompagnement psy dédié à ce sujet, fallait s'en "dépêtrer" après extraction du contexte via des "espaces de parole" plus ou moins organisés par l'institution. Je rédige en ce moment, seulement, un mémoire (à destination en particulier des organisations ayant du personnel en zones de guerre) pour la prise en charge par l'hypnose médicale de ces syndromes.


Oh très intéressant.

La question est complexe et me semble au moins socialement mieux comprise qu'au début du XXI siècle. Des œuvres cinématographiques ou des séries en parlent, c'est déjà ne première approche. En 14-18 ce que j'en ai lu c'est que les concevait rarement autrement que comme des lâches.


Je pense que vous mettez le doigt sur un détail fondamental. C'est notre époque qui se penche sur la psychologie des individus, et en particulier sur ceux qui ont subi des traumatismes psychologiques.

Avant cela, les mêmes traumatismes existaient : j'ai eu l'occasion de plonger le nez dans le registre d'admission de l'hôpital psychiatrique de Blois de 1907 (dont avant la Grande Guerre), les descriptions concernant certains patients sont à faire dresser les cheveux sur la tête et surtout la terminologie employée par le corps médical. Mon arrière-grand-mère (née en 1880) a eu la bonne idée de rédiger ses "mémoires" à la fin de sa vie. Elle y parle notamment de sa famille maternelle et de l'un de ses oncles qui a participé à la guerre de 1870 et qui avait eu "si peur" lors de la bataille de Reichshoffen (Réchauffeine, écrit-elle), que "ça lui tourna le sang. Il écrivait des lettres à ses parents où il leur parlait toujours du Bon Dieu et quand il revint, ils virent qu'il n'avait plus toutes ses idées et à cette époque s'était souvent soigné par des charlantants si bien qu'au bout de 3 ans il mourut". Elle dit la vérité, même si elle fait une petite erreur de chronologie : il est mort en 1876, à 32 ans, et sans s'être marié.

Les mécanismes de la psychologie humaine n'ont pas changé avec le temps : c'est notre façon d'en prendre conscience, de les comprendre, de les expliquer et de les percevoir qui l'a fait. Les soldats des armées égyptiennes, puniques, des légions romaines, de l'ost chrétien, des armées diverses et variées qui ont ravagé le monde, quel que soit leur système de croyances et leur culture, ont affronté eux-aussi ces troubles. Malheureusement, les chroniqueurs n'en parlent pas ou très peu...


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Message Publié : 30 Juil 2020 11:59 
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Atlante a écrit :
Les mécanismes de la psychologie humaine n'ont pas changé avec le temps : c'est notre façon d'en prendre conscience, de les comprendre, de les expliquer et de les percevoir qui l'a fait. Les soldats des armées égyptiennes, puniques, des légions romaines, de l'ost chrétien, des armées diverses et variées qui ont ravagé le monde, quel que soit leur système de croyances et leur culture, ont affronté eux-aussi ces troubles. Malheureusement, les chroniqueurs n'en parlent pas ou très peu...


En fait, il y a une différence qui compte et qui change au fil des temps. D'après de nombreux psychologues, on subit plus de dommages psychologiques si on n'est pas "acteur" lors des épisodes violents. Donc, quand on avait une chance raisonnable de sortir vivant d'une bataille, surtout si cette chance était liée à la manière de se protéger, c'est mieux que si on attend en ordre de bataille sous la mitraille que les chefs donnent l'ordre d'attaquer. De même, les unités d'alliés obligés de combattre alors qu'ils ne se sentent pas concernés, ça ne doit pas être une situation facile à vivre.

Bref, selon les situations particulières de telle période, ou de telle autre, ces troubles devaient être plus ou moins prégnants. Évidemment, à l'époque où on massacrait le plus d'ennemis possibles, peu de ceux-ci risquaient d'être atteints de troubles psychologiques. Mais, on trouve parfois des témoignages où en relisant avec le regard actuel, on voit que les situations décrites correspondent bien à de tels troubles.

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Message Publié : 30 Juil 2020 12:31 
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Jean Froissart
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Inscription : 14 Avr 2006 21:21
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Narduccio a écrit :
Atlante a écrit :
Les mécanismes de la psychologie humaine n'ont pas changé avec le temps : c'est notre façon d'en prendre conscience, de les comprendre, de les expliquer et de les percevoir qui l'a fait. Les soldats des armées égyptiennes, puniques, des légions romaines, de l'ost chrétien, des armées diverses et variées qui ont ravagé le monde, quel que soit leur système de croyances et leur culture, ont affronté eux-aussi ces troubles. Malheureusement, les chroniqueurs n'en parlent pas ou très peu...


En fait, il y a une différence qui compte et qui change au fil des temps. D'après de nombreux psychologues, on subit plus de dommages psychologiques si on n'est pas "acteur" lors des épisodes violents. Donc, quand on avait une chance raisonnable de sortir vivant d'une bataille, surtout si cette chance était liée à la manière de se protéger, c'est mieux que si on attend en ordre de bataille sous la mitraille que les chefs donnent l'ordre d'attaquer. De même, les unités d'alliés obligés de combattre alors qu'ils ne se sentent pas concernés, ça ne doit pas être une situation facile à vivre.


Pas faux.

Narduccio a écrit :
Bref, selon les situations particulières de telle période, ou de telle autre, ces troubles devaient être plus ou moins prégnants. Évidemment, à l'époque où on massacrait le plus d'ennemis possibles, peu de ceux-ci risquaient d'être atteints de troubles psychologiques. Mais, on trouve parfois des témoignages où en relisant avec le regard actuel, on voit que les situations décrites correspondent bien à de tels troubles.


Il y a une autre chose qui me revient à la mémoire, mais je ne me souviens plus de la source exacte (il me semble que c'est littéraire, mais pas sûre) : l'auteur disait qu'à l'époque (aux époques) de la guerre où l'homme affronte l'homme sur le terrain, le conquistador (par exemple) voyait le visage de la victime (militaire ou civile) qu'il allait trucider ou, tout au moins, l'être humain ; alors que l'aviateur dans son cockpit (ou, pour faire plus "actuel", celui qui pilote un drone depuis une base militaire) largue ses bombes, ses missiles, ses torpilles sur des "gens invisibles" et échappent aux regards épouvantés, aux hurlements et aux bains de sang.

Pour en revenir aux dernières guerres en tout cas et aux cicatrices qu'elles ont pu laisser dans la psyché des vainqueurs comme des vaincus, il y a d'autres choses dont je peux encore témoigner : mon arrière-grand-père, de classe 1915, a fait trois ans de guerre quasi non-stop, à l'exception d'une blessure par balle au pied sans gravité qui l'a tenu éloigné du front pendant trois mois. Il s'en est bien tiré, bien qu'il soit passé par des coins où ça cognait dur (deux fois Verdun entre autres). Je n'ai pas eu la chance de le connaître (l'ironie de l'histoire a voulu qu'il meure chez lui asphyxié en 55, mais pas par du gaz moutarde), mais mon grand-père, une seule fois, m'en a longuement parlé. Lui, ce n'était pas le genre à enjoliver. Il m'a parlé notamment des cérémonies du 11 novembre quand il était petit (donc dans les années 20 / début 30), que "c'était quelque chose" et que son père ne parlait JAMAIS de ses années de guerre sauf avec d'anciens combattants les rares fois où il allait taper le carton au café. D'ailleurs, il était tellement joyeux, ce brave homme, que tout son bled l'avait surnommé Tristesse. Mon grand-père m'a d'ailleurs fait rire ce jour-là parce qu'il a ajouté : "J'ai d'ailleurs dans l'idée que ceux qui en parlaient beaucoup..." (il s'est arrêté, cherchant ses mots). J'ai fini sa phrase : "... n'en avaient pas fait tant que ça !" - "Exactement !".

Un de mes grands-oncles a plus ou moins trempouillé dans la Résistance. Il planquait notamment des armes dans une ferme abandonnée à proximité de chez mes arrière-grands-parents. C'est ma grand-mère (sa sœur) et une de ses nièces qui m'ont raconté ça (pas au même moment, mais même contenu). Eh bien, sa propre famille n'était même pas au courant !

Et enfin, j'ai une amie dont le père a fait partie des maquis de la Brenne dès l'âge de quinze ans et a participé, entre autres choses, à toute la Libération après le débarquement. Alors lui, il n'était pas du genre à se taire, ni à ménager ses mots. Mais c'est pareil, il y avait des choses dont il ne parlait jamais, notamment la partie où il est parti libérer l'est de la France.

Je ne sais pas si on peut parler de PTSD dans ces cas-là (je pense plutôt que ces hommes avaient eu suffisamment de résilience pour surmonter les moments terribles qu'ils ont traversé) mais, vainqueur ou vaincu, la guerre laisse à ceux qui la font et/ou la subissent des traces irréversibles.


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Message Publié : 30 Juil 2020 12:34 
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Jean-Pierre Vernant
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Les batailles antiques ou médiévales restent relativement peu meurtrières du coup il y avait proportionnellement plus de survivants que dans beaucoup d'affrontements du XXe siècle. Les poursuites durent rarement plus de quelques kilomètres. C'est généralement dans des configurations particulières du terrain ou de la tactique qui conduisent à des boucheries.
Ce que je trouve intéressant c'est que dans la logique des sociétés "archaïques" la guerre se trouve en quelques sorte dans l'ADN de la société, Clastres décrit très bien un "être pour la guerre" ce qui implique que l'on est combattant si l'on est un homme adulte dont la voix compte dans les assemblées. Or justement la guerre ne correspond qu'à une période relativement courte de la vie (sauf certaines exceptions) ce qui fait que l'on combat dans un âge où l'on est moins conscient de la mort. C'est un point soulevé dans A la guerre de Fussel à propos des conflits modernes. Il montre dans le commandement américain je crois que les jeunes recrues après quelques campagnes sont littéralement rincées, cyniques, désenchantées... voire inapte au combat. En clair, il me semble que ce facteur "d'inconscience" est aussi important dans la question guerrière et pas seulement depuis les conflits modernes.
En passant, dans les films qui figurent des combattants barbares de l'Antiquité ça me vrille la tête de voir systématiquement des quarantenaires barbues et jamais de grands adolescents, il y a là derrière quelque chose qui touche à nos propres représentations.

Pour ce qui est de subir sans réagir il y a en effet quelque chose d'aggravant dans les traumatisme, cependant je n'ai cessé de lire des témoignages de poilus qui insistent sur le fait de tuer quelqu'un de ses mains tout en le regardant mourir. C'est un élément également souvent à l'origine de traumatismes moins spectaculaires que l'obusite mais sans doute pas négligeables.

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Message Publié : 30 Juil 2020 15:51 
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Jean Froissart
Jean Froissart

Inscription : 13 Juin 2017 15:04
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.
Atlante a écrit :
Je pense que vous mettez le doigt sur un détail fondamental. C'est notre époque qui se penche sur la psychologie des individus, et en particulier sur ceux qui ont subi des traumatismes psychologiques.

Je ne pense pas. Ceci était vu comme un joyeux délire commencé dans le XIXe. D'autres pays avaient déjà conscience de ces problèmes et déjà cloisonnaient les patients.
En France -en milieu urbain- il fallait que ceci deviennent invalidant -non pour la famille- mais pour le voisinage et là, enfin, poussés, on consultait. Cependant on consultait le psychiatre. Et le psychiatre est compétent pour la psychiatrie et non pour des "problèmes" qui tiennent de traumas.
Encore fallait-il définir le trauma. C'est comme la douleur : très subjective d'une personne à l'autre.
Idem pour le trauma : personne n'est impacté par une scène de la même manière.
Là, les psychiatres sont incompétents, à l'exception de proscrire un traitement ou de signer la feuille d'internement.
Mais qui à l'époque aurait pris un traitement chronique donné par un psychiatre ? A l'exception d'un "fou", avec l'image que ceci véhiculait...
Personne ne souhaite avoir un aliéné dans sa famille. C'est déjà un barrage pour les unions futures etc.

Je ne pense pas que dans les temps antiques la vision soit la même, parce-que la vision essentielle est celle de la mort : non de la mort de l'autre (ceci est arrivé avec la société empathique) mais sa propre mort. Pour les blessés, ceci était bien sûr autre chose mais à l'époque, la chirurgie étant ce qu'elle était, le problème était très peu répandu.

Ce n'est pas la résilience qui fait surmonter les moments terribles. Il y a le moment terrible initiant le trauma qui -selon la personne- peut se "résilier" ou non. Tout le monde n'a pas une capacité de résilience et ceux qui possèdent cette capacité sont inégaux s'il fallait quantifier la résilience.

Narduccio a écrit :
D'après de nombreux psychologues, on subit plus de dommages psychologiques si on n'est pas "acteur" lors des épisodes violents.

Ce n'est pas tout à fait ceci sinon on pourrait arguer le fait que les déportés -étant passifs- n'étaient aucunement traumatisés.
Concernant la bataille, ce qui vous avancez est de l'ordre de l'angoisse qui peut être paroxystique et donner lieu à des débandades que l'on estime comme "lâcheté".
Ceux qui attendent sont à mettre -pour vous donner une image- dans le même sac que celui qui joue à la roulette russe ou encore celui dont on bande les yeux et auquel on pose un revolver sur la tempe. Il a le temps d'embrasser ce qui se passe et ce qui "l'attend".
Je ne suis pas certaine mais le fait de "massacrer" doit contenir en lui-même des facteurs aidant à exorciser les craintes les plus avant dans ce que notre cerveau "classe". C'est le défoulement.
Ensuite, il faut gérer ce passage à l'acte mais dans une société où le soldat passait d'un conflit à l'autre, ceci ne posait pas un problème difficile.
Ce qui était difficile était le fait que ces hommes ne pouvaient plus s'habituer à une vie normale d'où la présence de "compagnies", d'écorcheurs etc. Autant de personnes ayant basculé dans ce que nous nommerions aujourd'hui la grande délinquance.

Pedro a écrit :
Or justement la guerre ne correspond qu'à une période relativement courte de la vie (sauf certaines exceptions) ce qui fait que l'on combat dans un âge où l'on est moins conscient de la mort.

Tout à fait. On peut d'ailleurs le noter de nos jours. Une tranche d'âge se croit "invulnérable" et plus nous avançons dans une société aseptisée, plus cette tranche s'élargit.
Nous nous trouvons parfois face à des seniors totalement négligents de leur santé notamment la tranche née avant le second conflit et nous sautons aux adultes qui ont été dans la tranche "enfants rois".
Au milieu un creux.
Maintenant pour bien oeuvrer dans ce domaine, il faut du cas par cas. C'est d'autant plus ennuyeux que les psychologue ne prescrivent pas -à moins d'avoir en poche un doctorat de médecine générale-. Les thérapies sont souvent de groupe, par hypnose, l'apprentissage de l'auto-hypnose etc.
En face, vous avez le psychiatre qui, lui, prescrit mais ne "soigne" pas. L'exemple le plus étendu est la dépression. Le psychiatre prescrit un antidépresseur (idem pour le burn out) afin de ne pas dévisser plus. Il n'est pas de sa capacité à faire remonter, à moins là encore de prescrire. Au lieu de se résorber, la maladie devient "chronique". D'où les alternatives de plus en plus proposées.

Pour revenir aux soldats, il fallait un savant mélange/dosage de nouveaux et de vétérans. Les uns freinant le côté suicidaire des autres et les autres boostant les plus anciens ("Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés etc."). Il y a un besoin d'encadrement mature. Le soldat a ses "frères" d'armes et il a besoin d'une figure qui peut le montrer que le combat n'est pas "fatal". Les plus anciens étant souvent les plus gradés, inconsciemment ceci renvoie l'image que "la tête suit". On peut s'être battu, avoir été blessé (c'est de la mécanique) mais la tête suit.

Là où ceci est difficile est quand le circuit intermédiaire se rend compte que "là-haut, ceci ne suit plus" : on le verra avec Bazaine (prostration, absence), avec les Napoléon (moments de confusion, enfin ressentis suffisamment comme tels pour que les plus proches songent à la retraite, à se chercher/trouver une autre figure) etc.
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Message Publié : 30 Juil 2020 16:59 
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Localisation : En Mayenne
Un ouvrage lu il y a pas mal d'années : La fin des héros - Folie et psychiatrie dans la guerre moderne, de Richard A. Gabriel, 1991, traduit de l'anglais. Titre de l'édition originale américaine en 1987 : No more heroes - Madness and psychiatry in war. La conclusion est que la guerre s'est transformée, de nos jours, en une activité qui dépasse les capacités humaines à l'endurer.
Je l'ai conservé dans ma bibliothèque.


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Message Publié : 30 Juil 2020 18:18 
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Salluste
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Pédro a écrit :
Pour ce qui est de subir sans réagir il y a en effet quelque chose d'aggravant dans les traumatisme, cependant je n'ai cessé de lire des témoignages de poilus qui insistent sur le fait de tuer quelqu'un de ses mains tout en le regardant mourir. C'est un élément également souvent à l'origine de traumatismes moins spectaculaires que l'obusite mais sans doute pas négligeables.


Je pense que cela reste là aussi à nuancer. Exemple: les australiens durant la guerre du Vietnam ont volontairement réfléchis à la tenue d'un bon état d'esprit dans leurs rangs. Une des solutions a été de s'assurer que les missions et patrouilles avaient des objectifs clairs prédéfinis. Traduction: les australiens sortaient toujours pour causer de l'attrition à l'ennemi, et donc tuer, là où les américains avaient une vision plus aléatoires. Ils laissaient donc l'initiative à l'ennemi, et en conséquence "subissaient" plus souvent que les australiens. D'après les études que j'ai pu lire, les taux de SPT chez les australiens sont pourtant bien moindre que les américains.
Cela peut s'expliquer par de nombreux facteurs (sociaux, culturels...), mais le fait que le soldat australien était "actif" est souvent mis avant dans la littérature spécialisée comme étant un facteur déterminant.

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Message Publié : 30 Juil 2020 20:28 
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Jean Froissart
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Inscription : 13 Juin 2017 15:04
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.
J'ai longtemps pensé que le "non contact" rendait les choses plus faciles à exécuter (c'est le cas de le dire) et l'impact moindre.
Pourtant lorsque l'on se penche sur les exécutions nazies : il y a eu un gros problème et on a dû vite y remédier.

A comportement quasi équivalent : de tels troubles n'ont pas été recensés chez les Soviétiques. Peut être parce-que la peur déjà ambiante avait permis à chacun de développer des défenses inconscientes (déni, refoulement, forclusion).
D'où un comportement à tendance de défoulement chez les soldats : on retrouve des comportements identiques à ceux de la guerre de Trente Ans. Des comportements qui visent à répondre aux pulsions les plus primaires (nul jugement).

Est-ce que l'initiative laissée à l'ennemi rend "passif" ? Je ne pense pas. Lorsque l'action arrive : chacun trempe la chemise.
Peut-être n'ai-je pas bien saisi votre exemple.
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Message Publié : 30 Juil 2020 21:01 
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Localisation : En Mayenne
Dans l'ouvrage que j'ai cité, l'auteur développe entre autres l'idée que pour espérer ne pas sombrer dans la folie, plusieurs conditions sont nécessaires, dont celles-ci :
- on doit percevoir une relation directe et visible entre ce qu'on fait et ce qui nous arrive ;on ne peut pas vivre dans un monde régi par le hasard.
- on n'est pas totalement seul et, quoi qu'il arrive, quelqu'un ou quelque chose viendra nous sauver ;
- on ne peut pas concevoir un monde où on n'existe plus. Donc, on est intimement persuadé de son immortalité et on doit le rester.
Pour le soldat, le premier point se traduit par l'équation : si je crapahute correctement, si je fais ce qu'il faut, j'échapperai aux coups de l'adversaire et c'est moi qui l'emporterai. Placés dans cet état d'esprit, les Australiens que l'en envoyait en patrouille avaient de meilleures chances de survie psychique que les poilus impuissants sous les bombardements aveugles qui les écrasaient.


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Message Publié : 30 Juil 2020 21:06 
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Salluste
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Inscription : 11 Juin 2012 17:37
Message(s) : 240
Rebecca West a écrit :
.
Est-ce que l'initiative laissée à l'ennemi rend "passif" ? Je ne pense pas. Lorsque l'action arrive : chacun trempe la chemise.
Peut-être n'ai-je pas bien saisi votre exemple.
**


Lorsque l'on a l'initiative, que la mission est dirigée vers un objectif bien défini dès l'origine, vous augmentez les chances de réaliser du "bilan". Cela peut se traduire de nombreuses façons, mais concrètement dans l'exemple des australiens, cela signifiait tuer des ennemis.

On ne trempe pas de la même manière la chemise quand le contact est anticipé, éventuellement "drillé" à l'avance, et que l'on mène la danse que lorsque l'on tombe par exemple dans une embuscade, non anticipé par définition. Les conflits asymétriques contemporains le montrent dans une certaine mesure avec les nombreux syndromes post-traumatiques suite à des attaques IED (engin explosif improvisé). Une réaction qui revient souvent chez les victimes, et qui parfois déclenche les réactions psychologiques négatives est la frustration née de l'impossibilité de répondre à un ennemi parfois absent du champ de bataille...
Cela signifie pas que que le fait "d'être actif" inhibe totalement ce type de réaction, bien entendu, mais c'était juste pour souligner qu'il ne faut pas non plus rentrer dans la vision opposée du soldat uniquement choqué par les actions qu'il a commis. Elles sont parfois libératrices ou indifférentes...D'autant plus que les réactions sont très différentes d'un individu à l'autre (ainsi, il y a statiquement des gens, parfaitement sain d'esprit, qui sont indifférents au fait de tuer un adversaire. Comme le colonel GOYA lui même, cité plus haut.).

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Message Publié : 30 Juil 2020 22:45 
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Jean Froissart
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Inscription : 13 Juin 2017 15:04
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.
Il faut déjà adhérer à cette vision.
Il existe donc un travail psychologique fait en amont et un effet de groupe (le groupe fait pression de toutes les manières possibles : on pense en groupe, on rit en groupe, on mange en groupe etc.).
L'initiative n'engendre pas la réussite mais est un avantage dans la logique belliqueuse.
Ce n'est pas tant l'embuscade qui "entame" mais le désarroi que ceci crée, la conscience que -même en groupe- on est vulnérable. Ceci ramène à l'individu voire l'enfant derrière l'adulte construit.
Lors d'une embuscade avec morts : le petit nombre qui s'en tire est traumatisé et culpabilisé. Ce petit groupe ne peut alors qu'échanger avec d'autres ayant eu le même cheminement. Il faut assez vite couper ce lien qui est toxique.
Ensuite vient le moment de la reconstruction.

[quote= "b sonneck"]on doit percevoir une relation directe et visible entre ce qu'on fait et ce qui nous arrive ;on ne peut pas vivre dans un monde régi par le hasard.[/quote]
Tout à fait : ceci renvoie à l'abandon. Le hasard est une des plus grandes sources d'anxiété. Le hasard est aux événements ce que l'indifférence est à l'altérité : on ne comprend pas. Et ne pas comprendre enchaîne les choix hasardeux au sein de l'inconnu qui est souvent assimilé à la mort.

Pour la 2nd idée : j'ai un doute. Les femmes engagées dans l'armée soviétique étaient plus efficaces en binôme qu'au sein d'un groupe.

Citer :
on ne peut pas concevoir un monde où on n'existe plus. Donc, on est intimement persuadé de son immortalité et on doit le rester.

Là, je doute encore.
Il faut auparavant avoir été formaté dans ce sens car le soldat est entouré d'amis qui "font tout comme il faut" et cependant succombent. Alors : le hasard (on peut dire manque de chance etc.) mais bon le leurre ne dure pas. C'est là que la hiérarchie doit intervenir pour trouver la réponse auquel on ne demande qu'à croire.
On ne peur comparer la mission australienne donnée et le cas des soldats que vous avancez. C'est un peu comme si je vous répondais : "il suffisait de leur mettre des boules Quies. Ensuite, ils n'avaient qu'à se reposer sur le mental acquis pendant la formation et hop, ceci suffisait : ce n'était pas des femmelettes.". Vous trouveriez ceci ahurissant et pourtant, quelque part ce fut le discours de service et ce, pendant longtemps auprès de soldats malades et non de "traitres" ou "lâches" etc.
Même hyper-formaté, si la mort ne vient pas d'un coup : il y aura des séquelles. Etrangement s'il y a un "problème mécanique" (blessures parfois "rudes"), c'est tout à fait différent, un peu comme si on avait aussi "eu sa dose" et surmonter devient plus aisé.
De retour à la vie civile, c'est autre chose. Les soldats se retrouvent seuls et prennent conscience de l'image physique qu'ils renvoient et ce qui paraissait être un plus au sein du groupe leur semble invalidant. Ils reviennent au schéma d'avant et sont de nouveau dans un besoin de séduction d'autant plus fort qu'ils ne peuvent entendre/croire un discours qui leur démontre que "le physique est une chose..." ; cependant à l'Armée le "physique" c'est un ensemble qui les structure et les rassure.
Le lien de confiance est d'autant plus rompu, qu'ils n'ont plu confiance en eux.
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Message Publié : 31 Juil 2020 17:19 
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Rémy N. a écrit :
Les conflits asymétriques contemporains le montrent dans une certaine mesure avec les nombreux syndromes post-traumatiques suite à des attaques IED (engin explosif improvisé). Une réaction qui revient souvent chez les victimes, et qui parfois déclenche les réactions psychologiques négatives est la frustration née de l'impossibilité de répondre à un ennemi parfois absent du champ de bataille...


A un moment, certains parlaient de stress négatif et positif. La position du soldat dans un environnement hostile où l'ennemi peut frapper de tous cotés, entraîne un stress négatif, car à aucun moment la pression ne peut se relâcher et durant toute la mission, le soldats se sent épié, surveillé, en danger, et sans qu'il ne puisse agir pour diminuer ce stress. Dans le stress positif, on se retrouve vite dans l'action a agir pour obtenir un résultat (sauver ses camarades, tuer un ennemi, ...) et cela permet de relâcher la pression. Un stress négatif continu conduit souvent à la dépression.

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