Le code du travail 2021 comprend 3878 pages chez Dalloz (format 128 x 193) et 3900 pages chez LexisNexis (format 135 x 190). Le code de commerce comprend 3944 pages chez Dalloz et 2880 chez LexisNexis.
Cela peut sembler beaucoup mais il ne faut pas perdre de vue qu’ils s’agit de textes commentés et que les commentaires prennent au moins autant de place que les textes législatifs et réglementaires. Ensuite, il faut circonscrire les domaines couverts par ces textes. A la lecture du code du travail on remarque qu’il s’étend bien au-delà des seules relations, collectives ou individuelles, entre employeurs et salariés. On y trouve par exemple des chapitres entiers sur l’institution des prud’hommes, qui auraient tout aussi bien pu trouver leur place dans le code de l’organisation judiciaire ou le code de procédure civile, sur l’institution de l’inspection du travail, ainsi que des quantités de normes techniques de santé et de sécurité qui auraient très pu être insérées dans le code de la santé publique, dans le code de l’environnement ou ailleurs. Le code de commerce s’est vu grossir ces dernières années par l’insertion de diverses dispositions qui se trouvaient ailleurs comme celles sur le régime des baux commerciaux ou les tarifs réglementés des notaires et des huissiers dont on peut bien se demander ce que cela vient faire dans le code de commerce. En insérant ces textes, on n’a aucunement alourdi la législation, on a simplement modifié l’ordonnancement des textes.
Ces considérations faites, on se rend compte que se lancer dans une comparaison quantitative avec la législation d’un pays étranger est un exercice difficile. Ainsi il n’existe pas en Suisse de code du travail équivalent au code français. La législation fédérale sur le travail est contenue principalement dans la loi du 13 mars 1964 et secondairement dans le code des obligations mais aussi dans divers autres textes qu’il faut prendre en compte afin de faire la comparaison sur un périmètre équivalent. De plus, à la législation fédérale, il faut ajouter les législations propres à chaque canton. Ce qui pourrait correspondre au code du travail français édité chez Dalloz ou LexisNexis est le volume du Droit social édité par Helbing Lichtenhahn qui ne comprend que 800 pages mais dans un format plus grand que les ouvrages Dalloz ou LexisNexis.
La comparaison au poids à périmètre équivalent révèle un rapport plus près de 1 / 2 que de 1 / 8. Mais, c’est un fait, la législation sur le travail suisse est plus légère que la française. Et alors ? Alors on ne sait pas parce qu’une telle comparaison ne veut rien dire. Ce n’est qu’une formule prononcée lors de débats politiques afin d’obtenir la faveur du grand public sans entrer réellement dans le débat : ce n’est pas de l’information, c’est de la rhétorique. Une telle formule porte parce qu’elle est constituée de trois éléments qui ne peuvent être reçus que favorablement par le grand public à qui elle est destinée. Tout d’abord, on donne des chiffres. Même quand s’ils ne veulent rien dire, les chiffres impressionnent. Ils donnent l’illusion de la précision mathématique et de la rigueur. C’est ainsi même si, comme le déplore le journaliste de Libération : On touche ici au degré zéro de la gouvernance par les nombres, qui mesure la qualité d’un texte à son poids. Ensuite on évoque la Suisse. L’évocation de l’Amérique de Reagan ou le Royaume-Uni de Thatcher déplairait à une large fraction du public. Mais l’image de la Suisse est bonne. C’est un pays tranquille et prospère peuplé de gens raisonnables. Ils ne se font pas remarquer par des conflits sociaux mais chacun sait que les salaires sont nettement plus élevés en Suisse qu’en France. Aussi l’idée de s’inspirer des Suisses ne peut-elle qu’être bien reçue dans l’opinion. Enfin, la formule suggère qu’il faudrait simplifier le droit. On ne peut mieux enfoncer une porte ouverte. Personne n’est a priori hostile à l’idée de simplifier le droit, si ce n’est, éventuellement, les professionnels du droit qui vivent de sa complexité.
Mais peser des codes sur une balance, comme analyse juridique, c’est un peu limité. Il ne faut pas se contenter de peser les codes, il faut les lire. Or quand on les lit, on comprend pourquoi le code suisse est plus léger que le code français. En autres différences, il y a l’absence de salaire minimum. Lecture faite, fini le consensus : dire que le code suisse ne fait que 500 pages contre 4 000 pour le code français n’est en fait qu’une façon de suggérer qu’il faudrait revenir sur des acquis comme le SMIC ou, autrement dit, de déclarer sans violer les règles de la bienséance que ces cochons de travailleurs sont bien trop payés.
J’en reviens à la question initiale : Il parait que le code du travail en France fait plus de 5 000 pages et que ce nombre à régulièrement augmenté depuis des dizaines d'années. Quelle était la longueur du code du travail en 1973, dernière année de plein emploi en France ?
Je n’en sais rien mais il a été particulièrement étoffé par les lois Auroux qui ont principalement porté sur les instances représentatives du personnel et les modalités du dialogue social dans les entreprises. De plus, au fil du temps, il s’est alourdi de dispositions résultant de préoccupations qui sont devenues progressivement des priorités : harcèlement au travail, discriminations diverses, égalité entre hommes et femmes etc.
En France, il est rare qu’une préoccupation sociale ne donne pas lieu à de nouvelles lois ou règlement. On a ainsi inséré dans le code du travail l’obligation d’un rapport annuel et de de négociations sur l’égalité salariale dans l’entreprise. Il est possible que cette réaction législative soit moins systématique en d'autres pays.
|