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Message Publié : 01 Juin 2021 15:01 
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Philippe de Commines
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Duc de Raguse a écrit :
Certes, cet impérialisme se fonde sur le fait que des peuples - ou des "races" (terme mis à la mode) - soient inférieurs à d'autres et que les premiers devraient dominer les seconds, suite à ce fossé technologique, économique et social béant produit par l'industrialisation à l'échelle mondiale.
Mais, encore une fois, vous lirez les mêmes justifications chez les autres puissances coloniales et "impérialistes" du moment : Angleterre, France, Italie, Russie, Espagne, Etats-Unis et même Japon.
Ces justifications s'accompagnant assez souvent de clichés et jugements pseudo-scientifiques sur les différentes "races" du monde. Nous avons l'exemple célèbre de Renan en France.


Je n'en disconviens pas ! Je suis bien convaincu que l'Allemagne n'a rien inventé en la matière .

Duc de Raguse a écrit :
Ce n'est là que de la propagande wilhelmienne - qui a malheureusement bien infesté toutes les couches de la population allemande - et de représentants de commerce à la courte vue.
Bismarck n'avait pas tout fait pour empêcher l'Allemagne de se lancer dans l'aventure coloniale pour rien : il savait que cela entrainerait d'inévitables hostilités anglo-allemandes et que les sujets de sa majesté risqueraient fort de se rapprocher des Français.
Mais encore une fois, nous revenons ici sur certaines manifestations de l'impérialisme allemand - dans un contexte plus large de l'impérialisme des pays industrialisés - je ne vois pas encore de liens avec le nazisme...


La weltpolitik a contrario de l'idéologie "colonialiste" française qui se prétend civilisatrice, répond à des motivations autres, qui seront reprises plus tard, autour de l'idée de "lebensraum", le biotope à conquérir pour que s'épanouisse la race allemande. L'aventure coloniale allemande, vous avez raison, ne relève pas du même projet que la conquête des terres de l'Est par les nazis. Mais, pour reprendre la juste expression de Pedro, il y a un lien matriciel dans l'idéologie qui la porte, laquelle sera mise en œuvre de façon paroxystique par les nazis.

Duc de Raguse a écrit :
Vous trouverez la même chose chez les Russes, exactement à la même époque. Pourquoi ?
Car les années 1880 signent la prise de distance, pour ne pas dire un sérieux refroidissement entre les Allemands et les Russes. Chacun va trouver ses justifications pour se préparer moralement dans le cas où un conflit viendrait à poindre dans un avenir proche.
Même la SPD, par le truchement de Bebel, refusa au début des années 1910 que l'Internationale socialiste prenne des décisions néfastes à l'Allemagne - au moment même où les socialistes français débattaient sur la manière d'empêcher un conflit, de proclamer la grève générale, etc.. La défense de la nation allemande dépasse les clivages politiques, une fois l'unité achevée.
Cette défense identitaire ne peut être retenue comme la composante d'un terreau favorable au nazisme (ou alors c'est un "ramasse-tout" incroyable). D'une part car elle est commune à de nombreux pays d'Europe et d'autre part, car elle est transpartisane.

Vous n'avez pas tort, mais vous restez sur le plan diplomatique, au sommet de l'Etat. Ce sont des tendances profondes qui travaillent la société allemande dont je vous parle. Tous les allemands ne sont pas nationalistes, pangermanistes, darwinistes-sociaux, racistes, etc...Il y a des socialistes, des chrétiens démocrates, des libéraux, mais il me semble que ces idées à des degrés divers imprègnent la société allemande, idées qui s'expriment ailleurs, vous dites vrai, mais sont reçues et interprétées différemment.

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Message Publié : 01 Juin 2021 17:29 
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liber censualis a écrit :
La weltpolitik a contrario de l'idéologie "colonialiste" française qui se prétend civilisatrice, répond à des motivations autres, qui seront reprises plus tard, autour de l'idée de "lebensraum", le biotope à conquérir pour que s'épanouisse la race allemande.

C'est vrai et il en est de même, à la même époque, dans l'approche opposée que possèdent les Français et les Allemands sur l'essence même de la Nation.
Cela dit, il ne faut pas oublier les velléités simplement mercantiles des Allemands - tout comme des Français -, qui aspirent surtout à conquérir de nouvelles parts de marché, pour offrir des débouchés à leurs industries prospères : les groupes de pression les plus enclins à défendre cette politique au Reichstag sont bien les unions industrielles et commerciales allemandes (bien plus que les théoriciens de bibliothèque dont nous parlions plus haut).

lliber censualis a écrit :
mais il me semble que ces idées à des degrés divers imprègnent la société allemande, idées qui s'expriment ailleurs, vous dites vrai, mais sont reçues et interprétées différemment.

Je pense que c'est le cas de toute l'Europe de la fin du XIXème siècle en fait, qui "reçoit" ces théories, se les approprie et se positionne dessus. N'oublions pas que de 1919 à 1928 la somme de tous les micro-partis d'extrême-droite, racistes, autoritaires et xénophobes se situe toujours entre 5 et 10% des suffrages, toutes élections confondues.
Ce qui prouve donc que certaines individualités et certains faits sont indispensables pour comprendre le cheminement du processus et que rien n'était écrit à l'avance et qu'Hitler n'est ni interchangeable, ni le petit-fils caché de Bismarck. Ce serait une théorie trop simpliste.

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Message Publié : 01 Juin 2021 18:22 
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Duc de Raguse a écrit :
C'est vrai et il en est de même, à la même époque, dans l'approche opposée que possèdent les Français et les Allemands sur l'essence même de la Nation.
Cela dit, il ne faut pas oublier les velléités simplement mercantiles des Allemands - tout comme des Français -, qui aspirent surtout à conquérir de nouvelles parts de marché, pour offrir des débouchés à leurs industries prospères : les groupes de pression les plus enclins à défendre cette politique au Reichstag sont bien les unions industrielles et commerciales allemandes (bien plus que les théoriciens de bibliothèque dont nous parlions plus haut).


Il y a bien sûr d'autres moteurs et motivations à la Weltpolitik, elle n'est pas qu'une application des théories raciales, nationalistes etc... dont nous parlons depuis le début.


Duc de Raguse a écrit :
Je pense que c'est le cas de toute l'Europe de la fin du XIXème siècle en fait, qui "reçoit" ces théories, se les approprie et se positionne dessus. N'oublions pas que de 1919 à 1928 la somme de tous les micro-partis d'extrême-droite, racistes, autoritaires et xénophobes se situe toujours entre 5 et 10% des suffrages, toutes élections confondues.
Ce qui prouve donc que certaines individualités et certains faits sont indispensables pour comprendre le cheminement du processus et que rien n'était écrit à l'avance et qu'Hitler n'est ni interchangeable, ni le petit-fils caché de Bismarck. Ce serait une théorie trop simpliste.


Je pense que ces idées qui ont fait leur chemin ont imprégné la société allemande au delà des partis d'extrême-droite, à des degrés divers bien sûr, et pas uniformément. Et rien n'était écrit à l'avance, mais simplement il y'a eu une forme d'héritage, pour changer de vocabulaire, dont les nazis ont été les légataires...

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Message Publié : 01 Juin 2021 19:14 
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D'accord avec vous sauf sur ce point :
liber censualis a écrit :
il y'a eu une forme d'héritage, pour changer de vocabulaire, dont les nazis ont été les légataires...

Qu'il y ait une forme graduelle de propagation de certaines idéologies racistes, nationalistes et xénophobes au sein de la société allemande (et européenne) est un fait certain.
Cela dit, sans les conséquences de la Première Guerre mondiale - comme par exemple la "brutalisation des esprits" globale des Européens, chère à Mosse et le fameux "coup de poignard dans le dos" propre à l'Allemagne seulement -, la révolution bolchevique en Russie, mais aussi les conséquences sociales de la crise de 1929 et, surtout, un synthétiseur (brouillon certes, mais parvenant à toucher le peuple allemand, à la grande colère de tous ses rivaux d'extrême-droite) et catalyseur nommé Adolf Hitler, rien n'aurait été possible pour ces groupuscules d'extrême-droite. Ils seraient demeurés dans les oubliettes de l'Histoire.
En ce sens, il ne peut donc y avoir une forme de leg (cela impliquerait une volonté de transmettre - par qui ?), car c'est plutôt une bande d'apprentis-sorciers (avec AH en maître) qui a fabriqué cette alchimie inconnue jusqu'alors, profitant d'un contexte favorable pour que ce "mélange" puisse être testé, à échelle européenne, malheureusement.

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Message Publié : 01 Juin 2021 20:09 
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Duc de Raguse a écrit :
Qu'il y ait une forme graduelle de propagation de certaines idéologies racistes, nationalistes et xénophobes au sein de la société allemande (et européenne) est un fait certain.
Cela dit, sans les conséquences de la Première Guerre mondiale - comme par exemple la "brutalisation des esprits" globale des Européens, chère à Mosse et le fameux "coup de poignard dans le dos" propre à l'Allemagne seulement -, la révolution bolchevique en Russie, mais aussi les conséquences sociales de la crise de 1929 et, surtout, un synthétiseur (brouillon certes, mais parvenant à toucher le peuple allemand, à la grande colère de tous ses rivaux d'extrême-droite) et catalyseur nommé Adolf Hitler, rien n'aurait été possible pour ces groupuscules d'extrême-droite. Ils seraient demeurés dans les oubliettes de l'Histoire.

je suis d'accord. le corpus idéologique constitué d'apports extérieurs sous le Reich et transmis aux nazis n'explique pas à lui seul l'émergence du nazisme, et pas de déterminisme non plus.

Duc de Raguse a écrit :
En ce sens, il ne peut donc y avoir une forme de leg (cela impliquerait une volonté de transmettre - par qui ?), car c'est plutôt une bande d'apprentis-sorciers (avec AH en maître) qui a fabriqué cette alchimie inconnue jusqu'alors, profitant d'un contexte favorable pour que ce "mélange" puisse être testé, à échelle européenne, malheureusement.


Là je ne suis pas d'accord, je suis un peu-beaucoup "chapoutotien" sur ce plan, et je pense que l'alchimie comme vous dites a été réalisée avec des éléments existants en Allemagne ( et ailleurs).. Il y a "permanence" (je change de vocabulaire) d'idées conçues ailleurs, digérées et adaptées dans le Reich et reprises par les nazis.

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Message Publié : 01 Juin 2021 22:25 
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liber censualis a écrit :
Là je ne suis pas d'accord, je suis un peu-beaucoup "chapoutotien" sur ce plan, et je pense que l'alchimie comme vous dites a été réalisée avec des éléments existants en Allemagne ( et ailleurs).. Il y a "permanence" (je change de vocabulaire) d'idées conçues ailleurs, digérées et adaptées dans le Reich et reprises par les nazis.

Je m'en doutais bien. :wink:
Vous pensez - comme JC - que la(les) structure(s) l'emporte(nt) fatalement sur les acteurs ; pas moi. Aucun être humain n'est prisonnier de sa condition et de sa "conscience de classe" comme dirait l'autre.
Cela dit, ne j'ai jamais dit que ces "éléments" n'existaient pas en Allemagne, mais qu'ils n'étaient pas au pouvoir avant l'arrivée des nazis et étaient foncièrement minoritaires dans la société allemande ; nazis, qui jusqu'à preuve du contraire, n'ont jamais représenté la majorité des Allemands qu'ils ont, finalement, gouvernés.
Vous pensez, si je ne m'abuse, que la société allemande, après avoir été baignée pendant près d'un siècle par ces idéologies autoritaires, nationalistes, racistes et antisémites a produit le nazisme. Comme le nationalisme est un fil conducteur qui peut relier l'histoire de l'Allemagne en gros de 1850 à 1945, la forme de l'unité allemande choisie - oui, les bourgeois ont refusé de jouer leur "rôle de classe" en 1848 ! - ne pouvait qu'aboutir au nazisme. C'est le sonderweg (celui qui déchante pour le coup).
Personnellement, je pense, au contraire, que les nazis, largement minoritaires en Allemagne et ayant pris le pouvoir par la force et la violence ont réussi à convaincre la société allemande qu'elle était nazie. Il n'y a aucun sonderweg, car sans la PGM, la crise de 1929 et la personnalité d'Hitler, rien de tout ceci ne serait sans doute arrivé - cela malgré le "péché originel" de l'unité allemande dans le fer et le sang.
Car c'est bien la prose pourrie d'Hitler, distillée dans Mein Kampf, à faire des raccourcis idéologiques et historiques avec tout et n'importe quoi - Luther, les chevaliers teutoniques, Frédéric II, le darwinisme-social, le racisme, etc. - qui a réussi à former une explication aussi fallacieuse qu'irrationnelle que l'Allemagne avait un destin et que sa personne touchée par la divine providence allait accomplir. La corde est énorme, mais l'explication peut paraitre sensée à certains.
Ajoutez à cela, une bonne dose de propagande, une grosse pincée de terreur et tout le destin du peuple allemand ne pouvait fatalement aboutir qu'au nazisme, au Reich de mille ans.
En raisonnant ainsi, je me demande si, finalement, on ne donne pas raison à Hitler.

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Message Publié : 02 Juin 2021 12:57 
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Pour ma part je pense qu'il y a incontestablement un "effet Hitler" dans le processus. Un autre que lui soit ne serait pas parvenu au pouvoir, soit se serait limité aux thèmes "classiques" de la droite nationaliste.

Par exemple il ne me semble pas que l'antisémitisme ait atteint des sommets délirants sous la République de Weimar. En tous cas, pas suffisamment pour "criminaliser" le peuple allemand. Hé bien Hitler parvient à leur faire avaler cette calembredaine absurde : l'Allemagne est victime d'un complot juif mondial qui la met en danger.

Hitler fascine une part importante du peuple allemand, et ce sentiment tournera à l'adoration religieuse au fur et à mesure de ses succès. (Que les Alliés lui servent sur un plateau, au passage.) L'écrasement de la France en 6 semaines en fera un demi-Dieu. Nombre d'Allemand à ce stade croient le Führer infaillible et capable de tous les miracles.

Ce sentiment durera malgré les revers militaires. (Beaucoup d'Allemands ont témoigné qu'ils avaient été comme dessoûlés - ou désenvoutés - le jour de la mort d'Hitler.)

Dire que le "culte du chef" n'a pas la même importance que dans l'Italie fasciste, comme je l'ai lu plus haut, me semble dénué de réalité. Dans l'Allemagne nazie Hitler occupe tous les compartiments de jeu. Je pense qu'on ne comprend rien au nazisme quand on veut l'expliquer par des tendances de l'opinion en continuité avec la visions de l'Allemagne impériale, ou même avec les mouvements nationalistes d'après-guerre. Hitler c'est l'intrusion d'autre chose dans un jeu politique jusque-là rationnel.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 02 Juin 2021 14:20 
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Duc de Raguse a écrit :
Cela dit, ne j'ai jamais dit que ces "éléments" n'existaient pas en Allemagne, mais qu'ils n'étaient pas au pouvoir avant l'arrivée des nazis et étaient foncièrement minoritaires dans la société allemande ; nazis, qui jusqu'à preuve du contraire, n'ont jamais représenté la majorité des Allemands qu'ils ont, finalement, gouvernés.


Je ne pense pas que l'idéologie social-darwinienne, en tout cas l'idée que les allemands avaient un destin à accomplir au détriment d'autres "races", et un destin majeur fut une idée minoritaire en Allemagne. A mon avis, elle était partagée à des degrés divers et selon des modalités diverses ( l'exemple de Weber en 1895 le montre, il n'avait, en évoquant la nécessité de l'impérialisme, pas comme projet d'éradiquer des populations non allemandes, mais la lutte entre les races était une réalité pour lui). Et cette haute opinion de son destin, empêché par l'Est comme par l'Ouest avant 1914, l'Allemagne défaite de 1918 sera effondrée de ne plus pouvoir la ressentir. Le désir d'expansion vers l'Est, mais aussi vers l'Ouest ( les buts de guerre allemands comprenaient des annexions sur la Belgique et la France) était au pouvoir jusqu'en 1918. Les nazis ont repris ces conceptions, et, sans représenter la majorité des allemands (comment savoir en l'absence d'élections après 1933, mais en l'absence de rébellion...) ils ont, à mon avis trouvé un public réceptif car déjà imprégné (à divers degrés je répète) par ces idéologies.

Duc de Raguse a écrit :
Vous pensez, si je ne m'abuse, que la société allemande, après avoir été baignée pendant près d'un siècle par ces idéologies autoritaires, nationalistes, racistes et antisémites a produit le nazisme. Comme le nationalisme est un fil conducteur qui peut relier l'histoire de l'Allemagne en gros de 1850 à 1945, la forme de l'unité allemande choisie - oui, les bourgeois ont refusé de jouer leur "rôle de classe" en 1848 ! - ne pouvait qu'aboutir au nazisme. C'est le sonderweg (celui qui déchante pour le coup).

Le nationalisme baigne en gros la société allemande depuis 1806, celle-ci s'appropriant un concept nouveau exporté par les armées française. Un nationalisme qui a évolué d'ailleurs je ne m'étends pas, vous maitrisez le sujet. Comme vous,je ne crois pas au déterminisme, le nazisme n'est pas à l’œuvre sous Frédéric-Guillaume IV ou même sous Bismarck. Je ne crois absolument pas que l'évolution de l'Allemagne au XIXe devait inéluctablement conduire au nazisme. Je dis qu'une alchimie (je m'approprie votre expression) s'est produite dans les années 20 par des groupuscules d'extrême-droite lesquels ont repris un corpus idéologique antérieur, associé au traumatisme de la défaite, du sentiment de déclassement, d'injustice insufflé par le traité de Versailles et ses conséquences. Et pour au moins ne pas susciter la "réprobation" de la population, qui n'a jamais voté massivement pour eux dans les années 20, et pour obtenir une certaine adhésion par la suite, il ne suffisait pas que ces idées soit aboyées au mégaphone. Pour que la connexion se fasse, il fallait bien que ces idées préexistent dans une certaine mesure dans les têtes des auditeurs.


Duc de Raguse a écrit :
Personnellement, je pense, au contraire, que les nazis, largement minoritaires en Allemagne et ayant pris le pouvoir par la force et la violence ont réussi à convaincre la société allemande qu'elle était nazie. Il n'y a aucun sonderweg, car sans la PGM, la crise de 1929 et la personnalité d'Hitler, rien de tout ceci ne serait sans doute arrivé - cela malgré le "péché originel" de l'unité allemande dans le fer et le sang.

Je suis d'accord. Mais le mégaphone et la matraque ne suffisaient pas non plus. Il fallait une société plus ou moins réceptive et acclimatée à ce discours au préalable.

Duc de Raguse a écrit :
Car c'est bien la prose pourrie d'Hitler, distillée dans Mein Kampf, à faire des raccourcis idéologiques et historiques avec tout et n'importe quoi - Luther, les chevaliers teutoniques, Frédéric II, le darwinisme-social, le racisme, etc. - qui a réussi à former une explication aussi fallacieuse qu'irrationnelle que l'Allemagne avait un destin et que sa personne touchée par la divine providence allait accomplir. La corde est énorme, mais l'explication peut paraitre sensée à certains.
Ajoutez à cela, une bonne dose de propagande, une grosse pincée de terreur et tout le destin du peuple allemand ne pouvait fatalement aboutir qu'au nazisme, au Reich de mille ans.
En raisonnant ainsi, je me demande si, finalement, on ne donne pas raison à Hitler.


Pas fatalement, mais ça s'est produit.

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Message Publié : 02 Juin 2021 14:40 
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Pierma a écrit :
Pour ma part je pense qu'il y a incontestablement un "effet Hitler" dans le processus. Un autre que lui soit ne serait pas parvenu au pouvoir, soit se serait limité aux thèmes "classiques" de la droite nationaliste.

Par exemple il ne me semble pas que l'antisémitisme ait atteint des sommets délirants sous la République de Weimar. En tous cas, pas suffisamment pour "criminaliser" le peuple allemand. Hé bien Hitler parvient à leur faire avaler cette calembredaine absurde : l'Allemagne est victime d'un complot juif mondial qui la met en danger.


Sur le complot juif mondial, le thème n'est pas une invention d'Hitler, ni des allemands, qu'il n'y aucune raison de criminaliser d'ailleurs, vous avez raison. L'important pour les nazis est d'exclure les juifs du biotope germanique, comme éléments qui le divisent et l'affaiblissent. les allemands ont accepté cette politique "d'exclusion" (les voisins qui disparaissent du jour au lendemain, disparition suivie en général d'un vide grenier). L'antisémitisme y était un sentiment bien partagé, comme partout en Europe d'ailleurs (ça ne veut pas dire que tout le monde était antisémite je préfère préciser).


Pierma a écrit :
Je pense qu'on ne comprend rien au nazisme quand on veut l'expliquer par des tendances de l'opinion en continuité avec la visions de l'Allemagne impériale, ou même avec les mouvements nationalistes d'après-guerre. Hitler c'est l'intrusion d'autre chose dans un jeu politique jusque-là rationnel.


Hitler est un orateur, un porte-parole, il est un amplificateur d'idées qui lui pré-existent. mais ça n'est pas rien !

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Message Publié : 02 Juin 2021 21:14 
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Pierma a écrit :
Pour ma part je pense qu'il y a incontestablement un "effet Hitler" dans le processus. (...) Je pense qu'on ne comprend rien au nazisme quand on veut l'expliquer par des tendances de l'opinion en continuité avec la visions de l'Allemagne impériale, ou même avec les mouvements nationalistes d'après-guerre. Hitler c'est l'intrusion d'autre chose

Je suis totalement d'accord avec vous. Ce que Hitler propose est radical et inédit.

Pierma a écrit :
Par exemple il ne me semble pas que l'antisémitisme ait atteint des sommets délirants sous la République de Weimar. En tous cas, pas suffisamment pour "criminaliser" le peuple allemand. .

Là aussi, concernant Weimar. A partir de 1933, je n'aurais pas choisi le mot "criminaliser", mais par contre, l'existence d'une responsabilité dans l'accession démocratique de Hitler au pouvoir.

Pierma a écrit :
Hitler parvient à leur faire avaler cette calembredaine absurde : l'Allemagne est victime d'un complot juif mondial qui la met en danger.
A mon sens c'est incomplet. Il leur fait avaler davantage:
1. le peuple Allemand est supérieur par sa race à tous les autres peuples, et a des "droits" naturels sur le monde
2. l'Allemagne est victime en premier lieu de la France, arrogante et dominatrice, qui se permet d'occuper son territoire. Mein Kampf se veut également un livre de réécriture de l'histoire, dont l'histoire récente, et l'occupation de la Ruhr y occupe une place très importante. Il s'agit dans son délire de "résister" face à la France hégémonique en Europe (il "oublie" pas mal de détails..).
3. l'Allemagne est victime du coup de poignard dans le dos porté pendant la guerre par les civils de l'arrière, les politiciens, à commencer par toutes les tendances marxistes, et, bien sûr, les Juifs.

Liber censualis a écrit :
L'important pour les nazis est d'exclure les juifs du biotope germanique, comme éléments qui le divisent et l'affaiblissent.

Il ne faut pas oublier que pour eux, tout ce qui n'est pas Aryen affaiblit l'Allemagne, puisque les Allemands aryens sont "mieux" que tout le monde. Il faut inclure les autres sous-hommes. A commencer par les peuples et minorités présents dans "leur" Europe centrale (Allemagne et pays voisins), et beaucoup plus nombreux que les juifs: les Slaves, en premier lieu les Untermenschen polonais et russes, les minorités d'Europe centrale (Roms), les Hongrois et autre odieux finno-ougriens, etc.


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Message Publié : 03 Juin 2021 17:31 
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liber censualis a écrit :
Le nationalisme baigne en gros la société allemande depuis 1806, celle-ci s'appropriant un concept nouveau exporté par les armées française.

Je nuancerais quelque peu : 1806, sonne le réveil des intellectuels germaniques quant à cette question, après des défaites aussi surprenantes qu'honteuses (à faire rougir Frédéric II dans sa tombe...) contre Napoléon 1er. Ils réalisent alors leur auto-critique (comme le feront les Français après 1871).
Que cette dernière "descende" auprès du simple quidam va prendre plusieurs générations.
Par contre, oui, une fois que l'unité est réalisée, il faut la conserver coûte que coûte, surtout pour la Prusse, porteuse du projet. Ce nationalisme transpartisan est un vrai fil conducteur entre 1850 et 1945 afin de comprendre la société allemande.
La jeunesse de cet Empire fédéral, l'absence de pratiques démocratiques, la mainmise dans pratiquement toutes les structures publiques de l'aristocratie prussienne, le contexte européen d'exacerbations nationales, la personnalité ombrageuse de Guillaume II, les succès économiques, etc. vont conduire l'Allemagne à pratiquer - comme d'autres puissances - une politique nettement impérialiste (malgré les avertissements de Bismarck sur la question).
En 1918, tout semble s'effondrer, mais la foi dans la nation allemande non - en témoignage l'étrange constitution de Weimar : "la République est un Reich", dont Weber fut l'un des rédacteurs -, les piliers du régime wilhelmien non plus. Ils n'aiment pas les nazis et Hitler, soutenu essentiellement par une populace bien remuante.
Cela dit, pour retrouver la grandeur d'antan ils vont accepter de le soutenir, provisoirement et ponctuellement, puis totalement après 1934. N'oublions pas qu'il se présente comme le héraut d'une nation allemande renaissante et n'hésite pas à faire des raccourcis historiques fallacieux pour justifier sa quête et sa politique.

Citer :
Pour que la connexion se fasse, il fallait bien que ces idées préexistent dans une certaine mesure dans les têtes des auditeurs.

Elles existaient, mais de manière éparpillée, non véritablement transposées à l'histoire récente de l'Allemagne, et, surtout, elles n'étaient pas portées politiquement.
C'est le pot-pourri réalisé par Hitler - qui se retrouve dans Mein Kampf et c'est pour cela que j'ai défendu ailleurs la publication de cet ouvrage : la source est toujours mieux que les commentaires -, qui va produire une sorte de synthèse nouvelle et offrir au vieil antisémitisme traditionnel un aspect "scientifique" dans une optique de "régénérer" la vraie Allemagne.
Je pense que beaucoup de ses contemporains le prenaient pour un antisémite traditionnel, peu ont compris ce qu'il avait vraiment en tête.

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