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Le rock'n'roll fait son entrée au baccalauréat. Cinq morceaux de Jimi Hendrix ont été inscrits cette année au programme de l'épreuve facultative de musique : Purple Haze, All Along the Watchtower (écrit par Bob Dylan), Hey Joe, Voodoo Child et If 6 was 9. Les quelques 13 000 élèves de toutes les sections qui auront choisi cette option pourront être interrogés sur un de ces morceaux. Purple Haze, dans la version originelle du compositeur mais aussi dans sa transcription pour cordes réalisée pour le Quatuor Kronos , est également soumis aux élèves de série littéraire (L), spécialisés en musique. Vincent Maestracci, doyen du groupe " enseignement et éducation artistiques " de l'inspection générale de l'éducation nationale, revient sur cette entrée en majesté d'Hendrix et du rock au bac, après celles du jazz et des musiques du monde.
Pourquoi avez-vous décidé d'inscrire Jimi Hendrix au programme du baccalauréat ?
L'éducation musicale au collège et au lycée doit embrasser toute la diversité des musiques, dans l'histoire comme dans la géographie. Cette exigence est du reste inscrite dans les programmes. Et comme dans notre pays, le baccalauréat a une valeur symbolique qui détermine beaucoup de choses, nous avons saisi cette occasion pour enrichir nos références pédagogiques.
S'agit-il d'une rupture ?
Assurément. C'est le premier guitariste gaucher inscrit au programme du bac... Plus sérieusement, il y a une inflexion, c'est certain. Jusqu'à la fin du XXe siècle, les épreuves portaient exclusivement sur la musique savante occidentale, y compris contemporaine. En 2001, nous avons introduit le jazz, en proposant plusieurs versions du standard Body and Soul. En 2003, nous avons mis au programme la musique de Java et Bali, dont le gamelan est l'instrument emblématique : un autre langage et une autre pratique collective de la musique. En 2005, ce fut au tour du tango, avec des compositions d'Astor Piazzolla, exemple idéal du passage de la musique populaire à la musique savante. Et cette année, outre Hendrix, le travail créatif du pianiste de jazz américain Uri Caine autour de la 1re Symphonie de Gustav Mahler est au programme de l'enseignement de spécialité.
L'éducation nationale est-elle là dans son rôle ?
La musique ne se limite pas à la tradition savante occidentale écrite. Une oeuvre comme Purple Haze, d'Hendrix, appartient à notre patrimoine, par sa qualité, mais aussi par ce qu'elle dit de son époque. Le texte témoigne de ce qu'ont été le mouvement hippie, ses codes, ses usages et aspirations. Notre rôle est de déchiffrer cet ensemble.
Plus largement, les élèves écoutent un flot musical qui les plonge au coeur de la diversité du monde. Il est important que nous développions leur esprit critique, qu'ils puissent disposer des outils pour éclairer leur écoute. Les professeurs, eux aussi, y gagnent. Car les outils que nous développons pour appréhender ces musiques, pour lesquelles la partition est souvent secondaire, sont universels. Rien n'empêche les enseignants de travailler à la perception d'une symphonie de Mozart avec les outils élaborés pour Hendrix. Je suis même convaincu que ça serait très pertinent, car avant de se lire, la musique s'écoute.
Comment ont réagi les enseignants ?
Ils sont confrontés au défi quotidien de l'éducation de populations très hétérogènes. Ils sont donc très majoritairement conscients de ce besoin d'ouverture. Je ne dirais pas qu'ils l'attendaient. Mais ils en ont vite mesuré l'intérêt. J'ai eu beaucoup moins de réactions critiques cette année, avec Hendrix, qu'avec le jazz en 2001.
Mais nous les accompagnons en mettant à leur disposition des outils documentaires papiers ou en ligne. Sur Hendrix, nous proposerons bientôt sur Internet un guide d'écoute multimédia et interactif, conçu en lien avec la Cité de la musique.
Vous entendez poursuivre ce mouvement ?
Bien sûr. Les programmes de 2008 viennent d'être publiés : la nouveauté concerne la bande originale de La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock, composée par Bernard Hermann. En 2009, nous pourrions proposer un ensemble de chansons françaises autour d'un thème. Mais si ce renouvellement encourage un nombre croissant d'élèves à présenter l'épreuve de musique au bac, la formation dans les lycées ne suit pas le mouvement. C'est un des défis à relever.
Propos recueillis par Nathaniel Herzberg