Maintenant, il faut évoquer ce congrès proprement dit. Il eut lieu du 19 au 25 avril 1948, et il marqua un tournant dans l'histoire de la culture soviétique et exerça une profonde influence sur l'évolution musicales de Républiques populaires. Une centaine de compositeurs et de musicologues venus de ces Républiques étaient présents. Le Comité de direction était là, avec tous les spécialistes du chant de masse. Les musicologues B. Assafiev et B. Iaroustovski étaient présents. Le compositeur Vassili Soloviev-Sedoï, de ce comité, proposa d'élire une présidence d'honneur dont ferait partie le Politburo du PCUS. Proposition adoptée unanimement. Staline devenait derechef le président d'honneur. Le nombre de compositeurs mis à l'index des Républiques locales augmenta. Pendant 7 jours, on fit l'apologie de Staline, de Jdanov. Les coupables ne furent autorisés à s'exprimer qu'au cinquième jour du procès. Après le tour de Khatchatourian, voici la défense de Prokofiev, via une lettre ouverte :
" Au cours des dernières décennies, écrivait-il, l'art occidental a instauré un culte de la forme "pure" et de la simple habileté technique en musique, qui a considérablement appauvri le langage musical et l'a privé de sa simplicité, de son intelligibilité et de son harmonie [...] Or des millions de simples gens ne comprennent rien à ces fioritures formalistes. Ce n'ai pas de gaieté de coeur que je suis parvenu à cette conclusion. En effet, j'ai moi-même péché, comme on dit, en cédant dans mon oeuvre aux erreurs du formalisme. Ma musique d'autrefois contenait déjà des éléments formalistes. Cette épidémie est sans doute le fruit des contacts avec l'art occidental. Il y a quelques temps, lorsque les auditeurs soviétiques ont critiqué les erreurs formalistes de l'opéra de Chostakovitch, j'ai longuement réfléchi à ma propre méthode de composition, et je me suis convaincu que ma voie est mauvaise [...] La présence du formalisme dans certaines de mes oeuvres s'explique par une connaissance insuffisante de ce que notre peuple attend. [...] Je ne peux nier m'être rendu coupable d'atonalité, proche parente du formalisme. [...] Je rechercherai désormais un langage clair, intelligible et proche du peuple.
Gavril Popov, l'autre accusé, critiqua la musique soviétique sans se prononcer sur ses propres oeuvres. Donc tollé d'indignations, car il ne comprenait pas qu'il fallait se défendre ! Il fit comme Prokofiev, envoya une lettre ouverte dans laquelle il reconnaissait une partie des torts imputés. Chébaline suivit son prédecesseur, laconiquement. Miaskovski ignora aussi bien la résolution que le congrès. Voyons la défense de Chostakovitch, le sixième jour des délibérations :
" Avant toute chose, je demande aux délégués de bien vouloir m'excuser, car je ne suis pas bon orateur. Mais il me semble que je ne puis me taire alors que mes camarades travaillent avec tant de zèle à faire appliquer les directives du Comité central. [...] Même s'il m'est pénible d'entendre condamner ma musique, et surtout de l'entendre critiquer par le Comité central, je sais que le Parti a raison, que le Parti ne veut que du bien et qu'il est de mon devoir de chercher et de trouver les voies qui me conduiront vers une création socialiste, réaliste et proche du peuple. Je n'ignore pas que cette voie ne me sera pas aisée, qu'il ne me sera pas facile d'écrire autrement, et que cela ne se fera peut-être pas aussi rapidement que je le désire et que le désirent sans doute mes camarades. Mais je ne dois pas renoncer à chercher de nouvelles voies, car je suis un artiste soviétique et j'ai été élevé en Union soviétique. Je dois donc trouver le chemin qui me conduira jusqu'au coeur du peuple, et je le trouverai. " Chostakovitch chercha donc à gagner du temps. Il ne pouvait pas se renier, mais essayait de flatter ses ennemis, sinon c'était le goulag ! Et le Comité adressa une lettre à Staline ensuite pour le louer de la sollicitude avec laquelle il veillait sur le développement de la culture musicale... (Krzystof Meyer, Chostakovitch, page 315).
Après ce congrès, la presse se déchaîna contre le pauvre Dimitri : " Mais les commentaires les plus nombreux furent consacrés à Prokofiev et à Chostakovitch. Dans trois numéros de la Sovietskaia Mouzyka (Musique soviétique), le compositeur Marian Koval se livra à une dénonciation politique, qui équivalait à une condamnation sans appel de toute l'oeuvre de Chostakovitch, à commencer par les Dances fantastiques, alors que le compositeur n'était qu'un enfant. [...] " (page 316).
Qui plus est, à l'automne 1948, Chostakovitch fut démis de sa charge d'enseignement aux conservatoires de Léningrad et de Moscou, cavalièrement. A Léningrad, il apprit par un avis apposé sur le tableau d'affichage qu'il avait été renvoyé de son poste de professeur pour incompétence ! A Moscou, le concierge lui refusa la clef de sa salle de cours. Bon, je vais enfin me coucher...
_________________ "L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)
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