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Mais je pense que nous n'arriverons pas à accorder nos visions de ce sordide personnage.
En plus de son délire antisémite paroxystique, je ne le trouve pas personnellement très sympathique, ni très propre
et alors?
S'il fallait ne lire que les auteurs qui sont sympathiques et moralement irréprochables, les rayons des bibliothèques seraient vides.
De nouveau, le but de l'histoire n'est pas de porter un jugement de valeur sur l'objet étudié, le jugement moral en fait entrave la connaissance parce que, en s'interposant entre le chercheur et son objet d'étude, il soumet la vision de l'historien au filtrage d'un système de valeurs toujours discutable;
ce filtrage crée nécessairement des taches aveugles et appauvrit la vision de l'objet étudié. Il y a une excellente citation de Marc Bloch à ce sujet quelque part dans la "signature" d'un postant.
Car en effet, les systèmes de valeur en fonction desquels sont passés ces jugements sont constitués de présupposés invisibles variables selon les individus, les époques et les cultures, présupposés qui rendent les condamnations hautement sélectives et arbitraires.
Pourquoi tant de sévérité pour Céline, qui a tenu des propos antisémites insupportables de nos jours, mais qui concrètement n'a pas fait de mal à grand monde--vu sa misanthropie, il fuyait plutôt le contact humain et voulait surtout qu'on le laisse tranquille?
Pourquoi serait il plus sordide que par exemple, Flaubert, (lui pourtant considéré généralement comme jovial et sympathique), qui se baladait dans divers pays moyen-orientaux en visitant systématiquement bordels et prostituées locales, qu'il traitait assez mal, ce qui est une chose, mais surtout, ce qui est plus grave, qui refilait généreusement à toutes ces malheureuses "indigènes" la syphilis et autres MST récoltées dans ce type d'activités? Cela ne semblait pas lui poser de problème vu qu'il les voyait comme étant là pour ça, comme il le dit à peu près dans sa correspondance; (sans parler de sa contamination de femmes européennes "respectables" bien sûr). Avec une belle arrogance occidentale faite de racisme, de colonialisme et de machisme, ce bourgeois français qui avait les moyens financiers de se soigner, ce qui n'était pas le cas de ses partenaires sexuelles, semait la maladie et la mort autour de lui.
Ce que faisaient également Alfred de Musset (qui violait aussi ses bonnes), Maupassant dans ses pérégrinations algériennes, Jules de Goncourt, tous amateurs de prostituées exotiques, et bien d'autres; ça ne posait pas de problèmes à l'époque. Est-ce que ces hommes étaient de sordides s..ds ou simplement suivaient des normes de leur époque qui sont (heureusement) devenues caduques?
Le jugement moral systématique en histoire est non seulement une plaie, comme le dit à peu près Marc Bloch, mais il est en soi inséparable de l'anachronisme et de l'européocentrisme: l'objet de la recherche historique concernant par définition des époques et des cultures différentes, de tels jugements ne sont portés que par des individus ayant un système de valeurs nécessairement différent de celui des humains auxquels ils s'intéressent, et qui pourtant n"hésitent pas à le leur appliquer.
Sur Wagner, j'ai appris en consultant ce lien que non seulement ce musicien a écrit plusieurs ouvrages antisémites--ce que je savais--mais qu'il a écrit en particulier plusieurs textes sur les juifs dans la musique allemande.
Ce qu'il reprochait à des musiciens juifs comme Mendelsohn était de produire une musique qui ne reflétait pas l'âme du Volk allemand. Selon lui, toute forme d'expression artistique devait être une expression de la culture d'un groupe particulier; et cette conception a été reprise telle quelle par Hitler. Avant Wagner, chez qui la trouve t'on?