Salut,
Oui désolé, Averroès est mort en disgrâce, pas en martyr. Mea culpa.
En outre, Averroès a connu une grande prospérité en Europe tant chez les juifs que les chrétiens, c'est pourquoi on a parlé d'averroîsme juif ou latin. Mais pratiquement aucune visibilité dans le monde musulman, où on lui a préféré Al Ghazali, son adversaire posthume.
On a redécouvert Averroès qu'à l'orée du XXe siècle dans le monde musulman au moment où, d'ailleurs, le mu'tazilisme renaît.
Je me permets de vous poser cette question : Comment peut-on être mutazilite aujourd'hui ? N'y voyez pas une boutade de ma part mais juste l'expression de la difficulté de comprendre la filiation entre votre mouvement et une école de pensée qui s'est épanouie aux IXème et au Xème siècles mais qui a disparu depuis (ou occulté comme vous dites).
Par ailleurs, et à ma connaissance,
Ibn Roshd est mort en disgrâce mais pas en martyr.[/quote]
Non, il n'y a aucun problème, tant qu'on se respecte toutes les questions sont envisageables
La question de l'affiliation à un courant, ou plus largement à une religion ne dépend pas de l'âge des dits mouvements. Le mu'tazilisme est le courant théologique le plus ancien du sunnisme avant d'être remplacé par l'asch'arisme. Si aujourd'hui il attire, c'est parce qu'il est d'une grande actualité.
Pour nous l'islam repose sur des preuves, au sens de fondements structurels : la raison, le coran et la sunna (jadis l'ijma' -consensus de la communauté- y était reconnu, mais les mu'tazilites d'aujourd'hui, le rejettent, car ce fondement était déjà très discuté par les Anciens notamment Al Nazzam, les Nouveaux s'en sont débarrassés, à cause de son caractère plus votif que réel). Le Coran et la Sunna sont soumis à la raison, partant du principe que le vrai ne contredit pas le vrai (logique d'Aristote, reprise par Averroès).
Ainsi, le Texte reste vivant, ouvert à interprétation et source d'enrichissements spirituels entre autres. La lecture rationnelle du Coran et l'exemple du prophète nous apprennent que le Coran a un sens global, un enseignement censé si on l'approche avec une lecture 'finaliste'. En lisant le Coran on se demande, que nous dit le texte au final ? Car si on l'approche via des versets à droite et à gauche, qu'on en a une lecture "confettis", comme on le fait d'habitude, on peut tout faire dire au texte. En avoir une lecture hippie comme une lecture jihadiste. Si on en a une approche globale, le sens se dégage, et les différents enseignements trouvent tout leur sens.
Les pièces s'encastrent comme dans un puzzle et on comprend.
De cette lecture finaliste, nous dégageons, en somme cinq principes qui reviennent dans le Texte : 1- unicité de Dieu 2-Justice divine 3- Promesse du paradis et menace de l'enfer 4- Demeure intermédiaire 5- ordre de faire le bien et interdiction de faire le mal.
Mais le mu'tazilisme s'appuie surtout sur les deux premiers principes dont beaucoup de choses découlent. Cette approche de l'islam, que j'ai tenté très succinctement de reproduire, est plutôt rationnelle, vivante, fait de l'islam une religion de l'éthique et du sens. C'est cela à mon avis qui attire aujourd'hui, surtout face aux discours sclérosés et autoritaires, bigots et quasiment superstitieux qui ont court un peu partout. Le mu'tazilisme peut sembler dépassé, mais tous les discours qui tendent de restituer à l'islam sa gloire d'antan, y ont recours de façon directe ou détournée. Il n'y a qu'à écouter, ou lire Mohamed Arkoun en parler pour comprendre. Sans parler de ceux qui s'en sont officiellement déclarés "membres" dont le plus connu actuellement est Abdel Karim Soroush.
Les écrits mu'tazilites, et surtout le nombre d'études et de travaux qui ont été consacrés en arabe dans le monde arabe et ailleurs, montrent un intérêt grandissant depuis la renaissance du XIX siècle. Surtout que nombre de ces travaux sont téléchargeables gratuitement sur le net. Quand je me suis attaché au mu'tazilisme, j'ai longtemps cru être le seul, mais finalement, j'ai découvert qu'il existait une petite communauté initiée par un palestinien de Jordanie, et puis d'autres mu'tazilites en Egypte, en Tunisie (probablement les deux pays les plus "touchés") mais aussi dans d'autres pays du monde musulman. Particulièrement en Inde et en Indonésie.
Le mu'tazilisme n'a jamais été un mouvement de masse. Il ne s'adressait qu'à un publique particulier, une toute petite minorité à l'époque médiévale, mais aujourd'hui, il peut toucher un plus grand nombre, même si d'avance, on sait qu'il restera minoritaire. Cela me rappelle Nietzsche: "D'aucuns naissent posthumes !"
Wa salam