Jerôme a écrit :
Je signale ce débat sur l'identité juive du Christ qui se fonde sur un livre assez audacieux de Daniel Boyarin (Le Christ juif) ...
... Les frontières que l’histoire a posées rétrospectivement entre la parole de Jésus et le judaïsme étaient sans doute bien plus poreuses à l’origine...
...
« Dans ce livre, je vais raconter l'histoire d’une époque où Juifs et chrétiens étaient beaucoup plus mélangés les uns avec les autres qu’ils ne le sont aujourd'hui.
Ce n'est ni si nouveau, ni si audacieux que ça. Tout au long du 20ème siècle, bon nombre d'historiens et d'exégètes chrétiens se sont posés la question de la judaïté de Jésus, ainsi que celle de la naissance du christianisme en milieu juif. Il est aujourd'hui admis que (bien que les évangiles insistent sur les
prises de bec sévères entre Jésus et les pharisiens) ce sont bien des pharisiens qui crurent les premiers en la résurrection de Jésus, et l'ont reconnu comme Christ (celui qui est
oint du Seigneur). De même, les Actes, autant que les premiers témoignages connus (Josèphe, Philon), montrent que les apôtres et les disciples fréquentaient les synagogues, que leur prédication a progressé d'abord dans les milieux juifs de Palestine, de Syrie et d'Asie mineure, avant de s'ouvrir (très-très vite) aux non-juifs.
D'ailleurs à Rome, en 120, Suétone ne fait pas vraiment la distinction entre juifs et chrétiens. Tacite, en 115, considèrent les chrétiens comme une secte juive (la plus dangereuse du lot d'ailleurs).
La distinction s'est pourtant produite un peu plus tôt, après la destruction du Temple par Titus en 70, qui a vu aussi la disparition des autres mouvements juifs (saducéens, esséniens, zélotes, ...), ne laissant subsister dans la diaspora quasiment que les juifs issus du pharisaïsme.
Un petit mot sur les principaux courants du judaïsme à l'époque de Jésus :
- les saducéens : très attachés au Temple, ils ne fréquentent donc pas les synagogues ; ils se concentrent donc nécessairement à Jérusalem et ne peuvent vivre en diaspora ; ils ne croient pas en la résurrection,
- les esséniens : très attachés au Temple, mais considérant qu'ils est tenus par des impies ; du coup vivent en communauté, loin de Jérusalem (Qumran, mais pas que ...) ; ils attendent un Messie qui "va faire le ménage",
- les pharisiens : la plus grande masse, dispersés dans toute la Palestine et la diaspora de l'époque ; vivant pour beaucoup loin de Jérusalem, ils fréquentent les synagogues, et autant qu'ils le peuvent, effectuent le pèlerinage au Temple ; ils sont l'archétype du "juif juste" ; ils attendent le Messie, ils croient à la résurrection ... mais ce n'est pas forcément le même, et, surtout, beaucoup achopperont sur l'idée d'un messie qui subi le plus infamant des supplices, ils auraient préféré un messie plus glorieux,
- les zélotes : une sorte de branche armée du pharisaïsme : le Messie rétablira le royaume d'Israël, militairement s'il le faut.
En résumé, dans les synagogues de la fin du 1er siècle, se croisaient donc des "juifs qui croyaient en la résurrection de Jésus" (les "judéo-chrétiens") et des "juifs qui n'y croyaient pas", tous issus du pharisaïsme. Comme le rappellent les Actes (qui s'avèrent ici un document historique authentique et capital), la cohabitation ne fut des plus paisibles. L'éclatement fut dû à l'arrivée des "non-juifs qui croyaient à la résurrection de Jésus" (les "chrétiens hellénistes", les "gentils"). Il est consommé quand les "chrétiens hellénistes" ne sont plus soumis aux règles judaïques (
cachrout et circoncision).
Pour faire encore plus court, et en termes historiques, christianisme et judaïsme modernes sont bien issus d'une même souche pharisienne après la destruction du Temple.
Sans cette réflexion historique et exégétique préalable qui a couru tout au long du 20ème siècle, le constitution conciliaire
Nostra Ætate (1965) sur les relations entre juifs et chrétiens aurait été impensable.