La revue
Le Débat consacre sa dernière livraison à la global history, dans une approche critique de grande qualité, qui cherche avant tout à relativiser la nouveauté du champ en mettant l'accent sur ses origines négligées, notamment française. Un ensemble de très grande qualité:
Sommaire:
Citer :
Écrire l'histoire du monde
Erik Orsenna, « Je cherchais du global, et je n'ai trouvé que du local » (entretien)
Définitions
Krzysztof Pomian, World History : histoire mondiale, histoire universelle
Olivier Pétré-Grenouilleau, La galaxie histoire-monde
François Hartog, De l'histoire universelle à l'histoire globale ? Expériences du temps
Christian Grataloup, L'histoire du Monde a une géographie (et réciproquement)
Rétrospections
Edmund Burke III, Marshall G. S. Hodgson et l'histoire mondiale
William H. McNeill, Histoire mondiale : l'essor et le déclin de l'Occident
Interrogations
Alain Testart, L'histoire globale peut-elle ignorer les Nambikwara ? Plaidoyer pour l'ethnohistoire
Jean-François Bayart, En finir avec les études postcoloniales
Illustrations
John H. Elliott, Contrastes d'empire : l'Espagne et l'Angleterre en Amérique
Immanuel Wallerstein, Les économies-monde et leurs histoire (entretien)
Serge Berstein, Les guerres du XXe siècle et le monde
A.G. Slama consacrait dans
Le Figaro aujourd'hui un petit article à cette parution (ainsi qu'à celle du dernier livre de Saskia Sassen):
Citer :
L'histoire, à l'heure du « global »
Le XXe siècle a été marqué par deux guerres mondiales, par la première grande crise économique planétaire et par la fin des impérialismes. L'interdépendance entre les nations et les continents est alors entrée dans la conscience des peuples. Ce fut l'âge des projets de sécurité collective et de la construction de l'Union européenne. Ce fut aussi l'époque des grands essais d'histoire des civilisations, tous marqués par le souci de décrire les rapports de puissance et les échanges, depuis Toynbee jusqu'à William H. McNeill et Eric J. Hobsbawm, en passant par Fernand Braudel.
Qu'en sera-t-il au XXIe siècle ? Eh bien ! si l'on en juge par les articles originaux et fort stimulants publiés dans le dernier numéro de la revue Le Débat *, on est tenté de formuler ici une hypothèse : la « globalisation », qui vient, est un phénomène bien plus profond que la mondialisation ; il ne touche pas seulement les rapports entre les peuples, de part et d'autre de leurs frontières respectives ; il pénètre chaque pays dans l'épaisseur de ses structures, à travers les transferts favorisés par la révolution des techniques et des médias. En sorte qu'à l'histoire universelle ou mondiale de jadis tend à se substituer une histoire globale, qui ne se découpe plus seulement en phases chronologiques et en espaces géographiques, mais aussi en tranches superposées, économiques, juridiques, sociales, culturelles, démographiques, à la manière d'un mille-feuille : si complexes qu'ils soient, les rapports entre les nations le sont moins que les interactions, à l'intérieur de chaque société, entre ces tranches constamment déplacées par les changements du monde.
Autrement dit, l'observation banale que la globalisation nous amène à faire chaque jour, et qui consiste à nous demander s'il existe encore, par exemple, un « modèle » français ou italien, espagnol, allemand, anglais, etc., se répercute sur l'écriture de l'histoire elle-même. Laquelle abandonne la beauté linéaire de la vieille idéologie du progrès pour tenter de saisir, dans les déplacements incessants des populations, des idées, des règles de droit et des rapports économiques, la signification de mouvements orientés dans les directions les plus diverses, parfois les plus contradictoires, dont on ne sait s'ils nous renvoient au Moyen Age ou au Meilleur des mondes. Il va bien falloir tenter de comprendre, de dégager des lois : admirable chantier pour les historiens ! Ainsi, aux jumelles et à la loupe l'histoire « globale » substitue-t-elle la sonde ; aux grandes perspectives et aux gros plans, la prospection des profondeurs. Pour les politiques, c'est une autre affaire : leur rôle est de maintenir les repères, de préserver les cohérences, plus nécessaires que jamais par temps de houle. L'histoire qui se fait, heureusement, n'est pas la même que celle qui s'écrit.
*Ecrire l'histoire du monde, avec K. Pomian, W.H. McNeill, I. Wallerstein, J. H. Elliott, F. Hartog, J.-F. Bayart, O. Pétré-Grenouilleau, C. Grataloup, A. Testart, etc., et un témoignage d'Erik Orsenna.
La Globalisation, une sociologie, de Saskia Sassen, Gallimard, 2009.