Citer :
il faut interroger les personnes ayant étudié la question, les historiens en premier lieu. Ils sont assez nombreux à considérer qu'il y a eu génocide, notamment Elikia M'Bokolo à qui on peut accorder un certain crédit : normalien agrégé d'histoire, il fut directeur d'études à l'EHESS, a enseigné à Sciences-Po Paris et à l'IRIS.
D'autres, cités dans la discussion, prétendent justement l'inverse.
On tourne, effectivement, en rond.
Citer :
Le débat tourne au dialogue de sourd avant tout parce qu'on confond trois notions qu'il faut bien distinguer :
les conclusions des historiens,
les déclarations de nature politique,
les décisions judiciaires.
Il patauge essentiellement car quelque chose amène les trois à être réunis ou à se réunir - alors qu'ils n'ont rien à faire ensemble ! -, celle de la demande de reconnaissance du massacre des Hereros et des Namas en génocide depuis 2001, réactivée en 2016 et 2017 (ce qui correspond aussi à l'inflation de messages à ce sujet ici-même...
) par des élus et collectifs hereros et namas avec des demandes considérables de compensation financière. Oui, le nerf de la guerre est bien au cœur de ce problème qui fait couler tant d'encre (pas assez en français malheureusement !) depuis ces quinze dernières années.
L'Historien n'a justement rien à faire là-dedans et doit se montrer bien plus précautionneux au sujet d'un terme construit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, suite à la Shoah, car, bien entendu, radicalement différente des massacres commis auparavant dans l'Histoire - malgré des points communs indéniables avec certains massacres ou asservissements de populations.
Il faut simplement savoir ce qu'on entend par génocide : suit-on la définition très large de l'ONU qui fait passer pratiquement tous les massacres de l'Histoire au rang de génocides ou bien une autre, plus fine, qui tend à exhumer les responsabilités dans la chaine de commandement de l'Etat concerné, de l'acte intentionnel de parvenir à un génocide (mot incompréhensible pour un Allemand de la fin du XIXème siècle, puisque construit à la fin des années 1940...), de l'établissement d'une planification pour y parvenir, de son exécution et du contrôle nécessaire de celle-ci pour observer si l'anéantissement systématique planifié a bien fonctionné ?
Bref, tout ce qui a été extrêmement bien mis en lumière à Nuremberg pour les crimes nazis.
Je suis partisan de la seconde définition, plus complexe, mais permettant borner clairement en quoi consiste un génocide.
Citer :
Non, le génocide se caractérise par un plan concerté d'extermination, plan qui n'est pas nécessairement le fait de l'Etat ni même celui d'une autorité de l'Etat. Les tribunaux ne jugent pas les Etats mais des individus. Le fait que le kaiser et le gouvernement allemand n'aient pas ordonné le massacre des hereros ne suffit pas pour exclure l'hypothèse du génocide. S'il est démontré que von Trotha a agi selon un plan d'extermination concerté localement, par lui-même ou d'autres investis ou non d'une autorité officielle, alors il y a génocide. En ce cas, c'est sur Trotha qu'il faut en faire porter la responsabilité et non sur le gouvernement allemand.
Oui.. et, finalement, non.
A vous lire, vous vous situez au final entre les deux options. Ainsi, à titre de comparaison, en vous suivant, il y a aussi eu un génocide en Vendée en 1794 (et encore d'autres ailleurs). Selon votre définition, puisqu'un officier supérieur a créé les conditions du déroulement d'un génocide sur place, comme Turreau à la tête de ses "colonnes infernales", qui comme Trotha a outrepassé ses ordres (encore que le CSP était plus loquace au sujet des Vendéens que le gouvernement allemand au sujet des Héréros) au passage, il y a bien génocide.
Encore faudrait-il que Trotha ait véritablement les moyens d'une pareille politique car, comme Turreau - et encore bien moins que lui ! - il n'avait pas les moyens d'accomplir la planification d'un génocide de l'ère industrielle (près de 100 000 individus, sans compter les Namas dans un second temps). Où se trouve la bureaucratie et les services administratifs et/ou de police nécessaires pour accomplir celui-ci, afin qu'on soit bien certain qu'on parvienne à un anéantissement systématique de toute la population ? Nulle part bien entendu, parce que nous sommes dans une colonie toute jeune, à la fin du XIXème siècle, où l'Etat est très peu présent dans la vie quotidienne (même en métropole) et lorsque le premier "gouverneur" arrive sur place à la fin des années 1880, il n'a que deux secrétaires pour former son "gouvernement".
Trotha utilise malheureusement des techniques vieilles comme le monde (empoisonne l'eau, laisse développer les maladies dans les camps, comme les britanniques venaient de le faire avec les Boers) et reçoit des bâtons dans ses roues du milieu de l'année 1904 au début de l'année 1907 de la part du gouverneur civil (puisque la présence de Trotha est "extraordinaire", on sort de l'ordinaire, il n'y a aucun cadre juridique avalisant ces assassinats comme chez les nazis ou encore les khmers) et un bon nombre de ses hommes, lassés (des témoignages le prouvent) de faire cette sale besogne.
Des associations, des membres des deux cultes majoritaires, des partis et élus se mobilisent en Allemagne, à des milliers de kilomètres (faut-il là aussi le rappeler ?) pour obtenir la fin de cette politique et le renvoi de Trotha, ils l'obtiennent. Je n'ai jamais observé cela dans un autre génocide du XXème siècle, lorsque des camps de concentration et/ou d'extermination se trouvaient à quelques milliers de mètres des lieux d'habitation d'une population très passive...
Faut-il aussi rappeler que les guerres coloniales du XIXème siècle sont l'occasion pour les officiers supérieurs de toutes les armées européennes d'obtenir un galon de plus et, très souvent, un prestige important dans l'opinion publique métropolitaine après leur retour ? Il me semble que cela soit exactement l'inverse qui soit arrivé à Trotha, malgré le fait qu'il ait pris sa mission de "rétablir l'ordre" très au sérieux - l'opinion publique allemande a visiblement été très choquée par le massacre de plus de cent colons allemands par les Héréros et la destruction de quelques villages - dans l'optique très certaine de briller à Berlin (qui en fonction de ce contexte lui donna "carte blanche") - cela n'enlève rien au fait qu'il considérait les Héréros et Namas comme des être inférieurs, ce qui a dû amplifier ses velléités meurtrières.
Cela dit, on est bien loin, ici, d'une mobilisation des structures publiques à finalité d'intention génocidaire de la part de l'Allemagne.
Citer :
La spécificité de la shoa par rapport à d'autres atrocités a conduit une partie de ceux qui en entretiennent la mémoire à ignorer inconsciemment l'existence d'autres génocides ou à les minimiser, la shoa devant rester le génocide par excellence.
Sauf pour le cas des Héréros et Namas, puisqu'il est commis par des Allemands et que certains historiens, adeptes du
sonderweg, développent particulièrement - sans le maitriser aucunement - pour y observer une forme de continuité, voire de causalité à la Shoah, ce qui, à mon sens, est particulièrement malhonnête et grave comme démarche.
En somme, pour des raisons financières et idéologiques le massacre des Héréros est sorti de l'oubli au début des années 2000 et doit être considéré comme un génocide et non comme un "simple" massacre colonial.
Faut-il y voir nécessairement un génocide ? Personnellement, pour les arguments cités plus haut, et parce que je déteste l'anachronisme et la repentance sur plusieurs générations (je ne vois pas au nom de quoi les Allemands d'aujourd'hui devraient s'excuser pour des crimes commis par leurs lointains ancêtres), je crois que non.
En tout cas, en toute impartialité, l'historien n'a pas à se fonder sur des arguments d'autorité ou des groupes de pression divers et variés pour valider si tel ou tel massacre est bien un génocide. Il doit observer et étudier les faits, les recontextualiser et donner son avis, sans pour autant être juge, ce serait dans le cas contraire se tromper de métier...
La réponse finale pourrait se diriger dans l'usage d'un terme plus approprié comme le
populicide, qui irait très bien dans ce cas, d'un point de vue historique, intellectuel et déontologique.