Jerôme a écrit :
Que l'on pardonne mon ignorance mais après 1830 le Comte de Chambord a t il bien été appelé Henri V par ses partisans ? Et si oui cela ne signifie t il pas que ce camp avait accepté la double abdication du roi et de son fils contrairement à toute la tradition monarchique sur l'indisponibilité de la couronne ? Si tel était bien le cas comment les juristes légitimistes ont ils justifié cette innovation (je parle de l'abdication ignorée avant 1830) ?
Franchement, je ne doute pas que quelque habile juriste légitimiste, ayant pirouetté avec force arguments spécieux sur la question ne soit parvenu à justifier cet acte bizarre qu'est la double abdication. Par contre, Jérôme, il faut bien voir que jusqu'en 1844, date de la mort du soit-disant Louis XIX, qui se proclamait lui-même, non sans une contradiction supplémentaire, "
chef de la maison royale de France", le parti légitimiste s'est scindé entre "légalistes", partisans sans contradiction avec les lois fondamentales de Louis XIX; et, d'autre part, les henriquinquistes. Cette dernière frange, de loin minoritaire, n'avait pour elle qu'un seul agrument valable: le dernier acte légal du feu roi, Charles X.
La double abdication,
à mon sens, s'explique davantage par calcul: il faut se ménager la possibilité d'une régence conciliatrice; ainsi, on peut reconnaitre que du 2 au 7 août -ou bien même, de fait, jusqu'au 9, que Louis-Philippe, comme son ancêtre Orléans de 1715 à 1723, a exercé la Lieutenance Générale du Royaume, dans un contexte de vacance du pouvoir. En effet, Charles X voulait faire de son cousin un régent pendant la minorité du comte de Chambord. Ce qui explique, par ailleurs, l'idée d'avoir écarté Louis XIX, qui avait atteint la majorité royale.
On reste dans du pinaillage, mais en entrant bien dans la logique de Charles X, reconnaître son fils n'aurait rien moins signifié, sinon que deux rois lutaient pour gouverner la France !
On aurait eu ce nouveau monarque de la barricade (ou du "ruisseau" dirait Chateaubriand) et un monarque divin, l'un roi effectif, l'autre roi légitime, mais
égaux en matière de
fonction. La Lieutenance Générale, en apparence, règle cette question et établit, au prix de contorsions biscornues du droit successoral, une forme de continuité lignagère et pas une opposition dynastique.
Mais, il me semble, que la position des henriquinquiste est parfaitement intenable, du moins
in abstracto. Elle est compréhensible par contre en terme d'attache sentimentale au feu-roi (et ce sentiment est presque le fondement du légitimisme), en respectant sa dernière volonté, et plus compréhensible aussi politiquement. Les "légalistes", eux aussi, ont à traîner un boulet: comment peuvent-ils se réclamer d'un chef de la maison de France qui a volontairement abdiqué la couronne qui lui était automatiquement échue? A cela on peut répondre simplement et clore le débat: ils le peuvent, en niant l'effectivité de ces abdications qui ne figurent en rien dans les lois fondamentales. Les contemporains, en tout cas, ont vu plus de force dans la position légaliste.
J'espère avoir apporté un semblant de réponse à votre question...
Une dernière chose. En remontant le fil, un contributeur demandait pourquoi le Comte de Paris, successeurs hypothétique de Louis-Philippe, avait opté pour la titulature royale de "Philippe VII" et non celle, a priori logique de Louis Philippe II. En fait, Louis-Philippe Ier entendait régner sous le nom de Philippe VII, véritable titulature royale qui l'élevait en dignité et n'en faisait pas, ce que désirait justement Charles X, un simple Régent de la maison d'Orléans.
Bien qu'il y fut apparemment très attaché, les discussions du 3 août sur la révision de la Charte de 1814, virent la gauche modérée formuler ses attentes, emmenée par Bérard, acteur majeur de la chute de Charles X. Et pour Bérard, le tournant devait être radical; il fallait qu'une nouvelle monarchie, et par voie de conséquence, une nouvelle dynastie règne en France. En ce sens, une ancienne titulature ne pouvait être acceptée, elle reconnaissait implicitement que le nouveau roi provenait des anciens monarques de France et régnait de droit (argument légitimiste; on est roi de France
Parce que Bourbon, point). Or, la Volonté du Peuple, seule, l'appelle au trône; dans le cadre d'une monarchie nouvelle, il doit donc adopter un nom, lui aussi nouveau.
C'est pourquoi le Comte de Paris peut reprendre,sans discontinuité, ce titre de "Philippe VII" qui n'a jamais été porté, quoique vivement désiré, par son grand-père.