Narduccio a écrit :
En fait, il y a tout un tas d'officiers supérieurs, mais aussi à des grades inférieurs qui se révèleront durant le reste du conflit.
Oui, c'est logique : 10 divisions, c'est au maximum 200 000 hommes, en comptant très large. (une division blindée a moins de monde que l'infanterie, et il faudrait décompter les services.) Au moment du débarquement en Normandie, il me semble que l'armée anglaise compte plus de 3 millions d'hommes. (C'est le chiffre que Churchill opposera à Staline, à Potsdam, qui parlait des trois grands comme "du club des armées de 5 millions d'hommes.) Mais cela peut inclure les marins, les aviateurs, et de forts contingents alliés, en particulier canadiens et polonais.
Bon, disons deux millions pour l'armée de terre anglaise. On comprend bien que vu la situation de départ, le moindre lieutenant professionnel (donc sorti de Sandhurst) évacué de Dunkerque, et à moins que ses collègues le considèrent comme un parfait abruti, était appelé à prendre des responsabilités plus larges, quitte à se former pour ça... et à former ses remplaçants. Oui, les promotions ont dû être rapides.
Au passage, j'ignore quelle formation recevaient les officiers anglais avant-guerre (celle de l'Ecole de Guerre, catastrophique, et qui a tant hérissé De Gaulle, reposait sur la "doctrine des fronts continus") mais ils ont été surpris comme tout le monde, et je me demande comment ils ont retravaillé leur enseignement après la déconfiture subie dans les plaines belges. (L'année suivante, les Russes pour le moins surpris également, reculeront de 2000 km avant de pouvoir enrayer l'avance allemande, devant Moscou.)
Ce qui nous mène à la question de Pouzet : comment s'opposer à la Blitzkrieg ? (En 41, la question nourrissait les réflexions de tous les états-majors alliés, Américains compris.)
Pouzet a écrit :
Citer :
plusieurs solutions ont été trouvées. Pour les français, c'est le cas à Bir-Hackeim dans une certaine mesure.
Pouvez-vous développer ce point, merci
Dans la réflexion sur la façon d'affronter la Blitzkrieg, l'expérience devait rapidement montrer que le meilleur ennemi du char... c'est le char. Et donc tous les pays vont copier - avec leurs caractéristiques nationales - le modèle allemand des Panzerdivisions.
Mais évidemment cela ne suffit pas : les Allemands employant leurs divisions Panzer pour percer et réaliser des encerclements, va se poser immédiatement le problème : comment des fantassins peuvent-ils s'opposer à une attaque de blindés avec quelques chances de succès ?
De façon un peu ironique, le premier à avoir entrevu une solution intéressante fut Weygand. (il se déclarait certes battu à court terme, ce qui hérissait De Gaulle, devenu membre du gouvernement, mais son idée n'était pas mauvaise.) Remplaçant Gamelin, il met en place la "ligne Weygand", sur la Somme, l'Aisne, et jusqu'à la ligne Maginot. Le tiers de l'armée (et le meilleur) ayant laissé son matériel à Dunkerque, il dispose des divisions qui restent, dont une bonne partie est d'ailleurs en surcharge derrière la ligne Maginot, d'où on va les rameuter en urgence, mais conformément à la doctrine française (les chars doivent accompagner l'infanterie) elles comprennent également des chars.
Il propose dont donc une défense "en hérissons" : l'idée est de fortifier les villages, d'en appuyer la défense, en arrière, par l'artillerie, et de placer des chars pour contre-attaquer les Allemands dans les intervalles. Faute de moyens, et face à des Allemands déchainés par leurs succès précédents, cette ligne ne tiendra solidement que quelques jours, la ligne sera percée en plusieurs points, mais enfin les soldats français, très remontés, se battent bien, et l'idée était là. (Et De Lattre, à Rethel, fera la preuve de son talent et de la combativité de ses troupes en repoussant trois assauts successifs.)
Il lui manquait ce dont la brigade française libre (la 1ère DFL) va faire bon usage : des canons antichars, des mines, et même des barbelés.
A Bir Hakeim, en mai 42, la 1ère DFL, tout au sud du dispositif allié (signe qu'on n'en faisait pas grand cas) se retrouve tout à coup dans une position clé lorsque Rommel attaque à la fois en mettant la pression au centre, et surtout tente un contournement par le sud qui prend les Anglais complètement par surprise. Le centre lâche, sauf erreur de ma part, en tous cas les Anglais (en réalité les troupes du Commonwealth) se mettent en retraite, et ce mouvement par le sud risque de mener à leur encerclement. Il est donc demandé aux Français de tenir leur position 3 ou 4 jours pour éviter cette catastrophe. De mémoire, il tiendront pratiquement une dizaine de jours. (Les Anglais, en sérieuse difficulté, leur demandent finalement de tenir au maximum.)
Le désert, c'est clair, est plat comme la main. La DFL c'est 4500 hommes, le gros des effectifs de la France Libre, mais s'agissant d'hommes qui ont quitté la France pour continuer le combat (ou rallié depuis les colonies : il y a un bataillon des volontaires du Pacifique) disons sans modestie que c'est une élite militaire. Ils ont un peu de temps pour se préparer et ils vont donc improviser :
- pour s'abriter dans le désert... on creuse ! Ils vont donc se creuser des abris, des tranchées, mais ils vont également creuser des emplacements pour mettre leur artillerie à l'abri, et plus original encore, ils vont sauver la plus grande partie de leurs véhicules en creusant des emplacements de garage avec une rampe de descente pas trop raide.
- Les mines. Ils en demandent des quantités, et les disposent de façon qu'elles forment pour les chars ennemis une sorte d'entonnoir, qui les oblige à se présenter groupés devant les canons antichars. Cela tout autour du point d'appui. Parce que :
- ça c'est très innovant, ils utilisent le bon vieux canon de 75 en antichar. (Alors que c'est normalement une pièce réservée à l'artillerie) Pour ça, ils ont résolu je ne sais quel problème technique sur la pièce - ne m'en demandez pas davantage - pour qu'elle puisse tirer à l'horizontale, et même avec une légère incidente négative. Ces pièces sont enterrées à défilement, pour leur protection. Le 75 en antichar, c'est du sérieux. A l'époque seuls les chars lourds allemands et russes (le Panzer IV et le T-34) sont équipés de pièces de ce calibre. Disons qu'ils ont de quoi allumer ces mêmes chars - sans parler de chars plus légers - à 1000 m. Des spécialistes me corrigeront peut-être, mais enfin c'est l'ordre de grandeur.
(on peut regretter que l'idée de l'utilisation du 75 en antichar n'ait pas surgi en 1940 - à ma connaissance - mais il est vrai que la pièce équipait l'artillerie, pas les régiments d'infanterie. Pourtant les Allemands ont donné l'exemple en utilisant ainsi leur terrible pièce de 88 mm anti-aérienne, chaque fois que leur infanterie sera surprise et en aura sous la main. De Gaulle en fera la rude expérience, avec les chars de sa DC4.)
Barbelés, tranchées et mitrailleuses pour l'infanterie ennemie. La première unité ennemie qui se présente est italienne. L'infanterie repoussée, ils attaquent avec des chars. Pour situer l'efficacité du dispositif : ils vont laisser plus de 40 chars dans le premier assaut.
Je n'en raconte pas plus - il y a un bon récit sur Wiki
ICI - disons simplement qu'ils vont obliger Rommel à venir en personne s'occuper du problème. Il va devoir faire revenir des chars allemands déjà plus avancés, et utiliser des Stukas qui bombarderont chaque jour.
Le monde entier suit leur exploit. La presse anglo-saxonne se passionne pour ces Français exotiques, et affiche chaque jour : ils tiennent ! Au bout de 10 jours je crois, ils reçoivent l'autorisation de percer vers l'arrière, ce qu'ils vont faire de nuit à travers un passage partiellement déminé. 3000 hommes rejoindront les lignes anglaises. (Dans ses mémoires, De Gaulle raconte que recevant d'un officier anglais la nouvelle que la DFL s'était sorti du piège, il s'enferma dans son bureau pour y verser "des larmes d'émotion et d'orgueil". De fait la nouvelle eut un retentissement considérable, et donna à la France Libre l'aura militaire qui lui manquait jusque-là.)
Il était donc possible - je crois que c'en était la première démonstration aussi fracassante - de s'opposer à la Blitzkrieg avec des fantassins. Les Soviétiques en feront également la démonstration l'année suivante, en défendant le saillant de Koursk, dans ce qui sera la plus grande bataille de chars de l'histoire. Je dirais 3000 chars, à la louche, de chaque côté, un peu plus côté russe mais on sait que les Allemands sont meilleurs tactiquement.
En préparant Koursk, Joukov et les autre généraux de Staline vont réussir à le convaincre
d'attendre l'attaque allemande. (ils ont du mérite : ce n'était pas le style du patron, et celui-ci ne rigolait pas) Ils font valoir qu'on peut d'abord user les chars allemands à l'aide de l'infanterie. Et ils vont retomber sur les mêmes solutions qu'à Bir-Hakeim. A cela près que les pièces antichar sont camouflées dans des bosquets, les pièces d'artillerie aussi. (c'est la fameuse
maskirovska, le camouflage systématique.)
Le scénario prévu va assez bien se dérouler, l'infanterie va tenir et entamer les Panzerdivionen, les Soviétiques vont toutefois connaître un moment difficile lorsque les chars allemands réussiront à percer le flanc sud de la poche, se répandant en terrain libre, mais même s'ils perdent beaucoup de chars dans la suite, les Soviétiques vont finir par briser l'épine dorsale de la Wehrmacht : ses divisions Panzer.
13 juillet 43 : Hitler met fin à l'offensive, l'Allemagne a perdu la guerre. (Comme le dit Pierre Nord "c'est là-bas que Hitler est mort".)
Dans son ouvrage sur la SGM, Philippe Masson décrit les opérations à partir de 1942 sous le titre : "L'introuvable guerre-éclair" : les chars attaquant en masse ne sont plus la solution absolue qu'ils constituaient auparavant.