Il semble que chacun "comprenait" les choses après 1945 comme avant.
En tous cas, rien de fondamental n'a changé de 1945 à 1954.
Je cite "Histoire de la guerre d'Algérie" par Bernard Droz et Evelyne Lever (1982, Editions du Seuil - Points Histoire - pp. 34-36) :
Citer :
[…] La seule innovation réelle du statut de 1947 résidait dans les tâches nouvelles qu'il confiait à l'examen de l'Assemblée algérienne : l'élaboration d'un nouveau régime communal, l'organisation du vote des femmes musulmanes, la définition d'un nouveau régime du culte musulman, l'extension de la langue arabe à tous les degrés d'enseignement. Il y avait là la reconnaissance implicite d'une spécificité algérienne qui rompait avec la conception coloniale de l'assimilation. Il est vrai que cette reconnaissance risquait de s'avérer purement formelle compte tenu de la majorité des deux tiers requise pour l'adoption de ces nouvelles mesures.
Tel quel, ce statut devait encore être appliqué. Or le gouverneur général Chataigneau faisait depuis longtemps l'objet de vives critiques de la part de la population française et de ses élus. Son libéralisme le rendait responsable, disait-on, des émeutes de 1945 et du résultat inquiétant des élections municipales d'octobre 1947 qui avaient vu le succès des listes du MTLD et de l'UDMA. Le ministre René Mayer, député de Constàntine et figure montante du radicalisme, obtint donc sa tête. Le Conseil des ministres désigna à sa succession le député socialiste Marcel-Edmond Naegel. Outre des qualités éprouvées d'administrateur, ce dernier apportait en Algérie la conviction inébranlable que le nationalisme algérien était aussi dangereux que le séparatisme alsacien coupable de compromission avec l’hitlérisme, et contre lequel il avait lutté. Aussi donna-t-il d'emblée quelques avertissements bien sentis aux messalistes et un gage de ses intentions en retardant de plusieurs mois l'élection de l'Assemblée algérienne.
Celle-ci eut finalement lieu les 4 et 11 avril 1948, au terme d'une campagne violente où il fut procédé à plusieurs centaines d'arrestations. Mais alors que le premier tour laissait pressentir une nette victoire du MTLD, une gigantesque opération de trucage dénatura totalement le scrutin du second tour. Le bourrage des urnes, l'arrestation préventive des assesseurs suspects et le quadrillage des douars par l'armée, aboutissaient à 1'«élection» de 41 candidats administratifs (sur 60), le MTLD obtenant 9 sièges et l'UDMA 8. L'administration reconnut implicitement l'ampleur de la fraude en affirmant qu'il s'agissait d'arracher l'électorat musulman aux mesures d'intimidation, d'ailleurs réelles, auxquelles s'étaient livrés des militants du MTLD. Mais elle n'en était pas moins déshonorée aux yeux de l'opinion française et internationale. Aux élections suivantes, celles de 1951 et de 1954, qui procédèrent au renouvellement triennal de l'Assemblée algérienne, des résultats plus mirifiques encore furent obtenus avec les mêmes méthodes. Une assemblée aussi docile ne pouvait guère aller de l'avant.
De fait, entre 1948 et 1956, année de sa dissolution définitive, elle ne se pencha pratiquement sur aucune des matières que le statut avait assignées à ses délibérations et se contenta de voter le budget que lui présentait l'administration. Celle-ci, du reste, s'enfonça dans la routine. Le gouverneur Naegelen comme son successeur Roger Léonard (jusqu'alors préfet de police) abandonnèrent l'essentiel des tâches de planification et de progrès social que Chataigneau avait tenté de lui insuffler. Et la tentative amorcée par le maire d'Alger, Jacques Chevallier, en vue de créer entre le nationalisme et les élus officiels une sorte de tiers parti musulman réformiste échoua à peu près totalement.
Dans ce morne climat, et à l'heure où la question des protectorats était mise à l'ordre du jour de l'Assemblée générale de l'ONU, on comprend mieux la sombre prophétie que Ferhat Abbas aurait formulée devant le maréchal Juin : "Il n'y a plus d'autre solution que les mitraillettes."