Bequelune a écrit :
- Nous ne connaissons aucun outil (y compris la démocratie) qui ait permis de réduire de façon pacifique les inégalités et la tendance à l’aggravation de celles-ci. Même les mouvements sociaux ou les politiques gouvernementales de solidarité n’ont fonctionné que dans le cadre d’une guerre totale ou d’une révolution, qui toutes deux ont tué des millions de personnes. Et encore, cette efficacité est temporaires car, quelques décennies après, les inégalités reviennent très vite et très fort. Nous vivons, depuis les années 1980, ce moment de retour en puissance des inégalités après une baisse drastique de celles-ci pendant et dans l’immédiat après-guerre.
- La civilisation est un processus inégalitaire. Plus une société est civilisée, plus elle est inégalitaire. Le fonctionnement normal d’une société en temps de paix est d’aller vers une concentration toujours plus importante des ressources dans les mains de quelques uns. À l’inverse, le retour à plus d’égalité est une simplification de la complexité des sociétés ; dit plus simplement, que ce soit à cause d’une guerre totale, d’une pandémie ou de l’effondrement, la fin de l’inégalité ne peut venir que d’une brutale et violente décivilisation.
- Cet accroissement des inégalités est un facteur important de troubles. Si Scheidel se refuse à tout déterministe et ne veut pas affirmer qu’il existe des seuils intolérables d’inégalités qui conduiraient inévitablement à la catastrophe, on est bien obligé de voir que l’inégalité extrême est une source majeure de dysfonctionnements.
Vous devriez vous pencher sur le néolithique européen pour comprendre que la civilisation sert justement à limiter les inégalités. Depuis longtemps les préhistoriens et protohistoriens ont noté le cas particulier de la naissance de la civilisation en Europe. Il y a plus ou moins 2 thèses à ce sujet, et pour les 2, le rôle de l'organisation de la société dans la réduction des inégalités joue un rôle certain. Posons déjà le problème, dans diverses régions du monde, il y a un premier néolithique qui est la phase de l'installation des agriculteurs et des éleveurs sur toutes les terres disponibles. Le second néolithique correspond à la phase où la société se structure, où se développe un artisanat, où l'on va exploiter les métaux, ... Et petit à petit la société se structure, avec une répartition inégale des richesses. Une classe de chefs devient de plus en plus riche, le reste de la société étant nettement moins riche. Mais, souvent on note que les populations croissent. En fait, une partie des membres de la communauté échangent une vie aventureuse avec une vie sédentaire où on travaille beaucoup, mais où la vie est relativement plus facile que la vie libre du chasseur-cueilleur...
Ce schéma fonctionne un peu partout... Sauf en Europe. En Europe, on voit un cycle se mettre en place à un tas d'endroits. La société commence à se structurer, et puis tout se délite... La plus ancienne explication était que les européens ne seraient pas arrivés à mettre en place une culture permettant aux puissants de dominer la société. Si on prend le cas de l’Égypte Antique, le Pharaon est l'interlocuteur privilégié entre les hommes et les Dieux. Il est aussi garant de la Maat, qui est plus ou moins l'équilibre serein de la société, on pourrait dire la paix sociale qui fait que les choses se produisent comme il faut, dans l'ordre qu'il faut pour les siècles et les siècles Bref, tant que chaque année, les Dieux montrent leur satisfaction en reproduisant une bonne crue du Nil, qui permette de remplir les greniers et les ventres, c'est la preuve que le Pharaon remplit bien son rôle d'intermédiaire et il justifie ainsi sa place au sommet de la hiérarchie de la société.
Donc, les sociétés du second néolithique européen n'auraient pas su développer ce récit commun pour justifier la main-mise d'une caste noble et la marche vers la civilisation ... Mais, il y a une seconde théorie, celle des espaces contraints. En fait, si on y regarde de plus près, les sociétés du second néolithique qui ont créé des civilisations sont des sociétés où une zone très fertile est englobée dans une zone où la vie est très difficile. Le paysan égyptien qui ne se satisferait pas de son sort ne peux pas fuir. A l'ouest, il y a un désert. A l'Est, il y a un désert. Au sud, il y a une montagne, désertique. Au nord, il y a la mer. Pas de fuites possible. En Europe, avec ces grandes plaines, il y a toujours pas loin un espace à conquérir et à cultiver. Bref, quand la société devient trop contraignante, il suffit de prendre ses cliques et ses claques et d'aller quelques dizaines de kilomètres plus à l'ouest ou plus au nord. Il faudra tout recommencer à zéro, mais on a de nouveau des chances d'avoir une place avantageuse dans la nouvelle société qui va se créer.
Bref, dans les 2 cas, pour perdurer, les sociétés doivent trouver un équilibre avec une redistribution des richesses. D'ailleurs, il en existe aussi dans les Empire antiques. Car il y a toujours des possibilités d'évoluer dans la société, soit en devenant soldat, soit en devenant un artisan, un commerçant, ... D'autant que les archéologues découvrent que les sociétés de chasseurs-cueilleurs n'étaient pas toujours ces mondes égalitaires, tel qu'on se les représente dans l'imaginaire.
Bref, ces théories qui veulent que le monde devienne inégalitaire en se socialisant sont bâties sur du sable. Le sable de nos rêves qui nous présentent les sociétés primitives comme des sociétés égalitaires. ce qu'elles ne sont pas ! Bâties sur des rêves, elles ne peuvent pas raconter la réalité, et elles ne peuvent pas la prendre en compte. Pour qu'une société perdure, il faut que les classes sociales les plus pauvres voient un avenir possible plus rose que le présent ou qu'un passé révolu. Elles aspirent à la pays sociale, elles aspirent à un avenir sans famines, elles aspirent à un avenir où avec ce qu'elles mettront de coté, elles pourront évoluer vers mieux. Si on ne prend pas cela en compte, on n'arrive pas à comprendre comment des sociétés prétendues coercitives aient pu se maintenir durant des périodes aussi longues. Un peuple d'esclave finit par se révolter. Et plus sont avenir lui parait sombre, et plus il sera amené à se révolter. Les guerres sociales et les révoltes d'esclaves comme celle de Spartacus en sont la preuve en ce qui concerne la Rome Antique. Quand les injustices sont trop criantes, les gens se révoltent. Dans le cas des esclaves, c'était encore pire : qu'avaient-ils à perdre puisque même leurs vies ne leurs appartenaient plus ?