bourbilly21 a écrit :
Vers 1942/43, c'est Christian Pineau qui arrive à convaincre De Gaulle de ramener les anciens partis et syndicats de gauche dans le jeu politique
alors que le général n'y était instinctivement pas très favorable étant donné la Défaite
Il lui avait remis une lettre in extremis que DG a consenti de lire
(Pierma, je crois que c'est cité chez Lacouture, une fois de plus
. )
Je n'ai pas souvenir spécialement de cette lettre de Christian Pineau chez Lacouture. (Mais je n'ai pas vérifié.)
Celui-ci décrit la manoeuvre (ou l'oeuvre) politique à laquelle s'attelle De Gaulle dès qu'il est, à Alger, en position d'égalité avec Giraud. Le but est de se positionner avec force à la fois en tant que chef politique de la résistance, en France, et de seul interlocuteur démocratique, soutenu par la Résistance, face à Roosevelt qui continue à sponsoriser Giraud et les séquelles du vichysme, et surtout ne veut pas d'une direction politique française reconnue. (En tous cas pas tant que les Français ne l'auront pas élue, très louable souci démocratique... ce qui la reporte aux calendes grecques, et l'autorise dans l'intervalle à désigner qui il veut - ce qu'il a fait jusque-là et que De Gaulle est en train de contrarier - voire d'imposer un gouvernement d'occupation militaire allié en France.)
Il y a donc à la fois la mission de Jean Moulin (unifier la résistance sous une autorité unique, celle du CNR) et l'idée de créer une assemblée consultative à Alger regroupant les grands noms, les partis démocratiques traditionnels, et des représentants des mouvements de résistance associés dans le CNR.
Lacouture dit qu'en langage des affaires cela s'appellerait "faire de la cavalerie" et adoucit le terme en disant : "C'est ce qui s'appelle hâter les choses."
Faire de la cavalerie (tout d'abord ce n'est pas, comme le voit écrit partout, une pyramide de Ponzi, donc une escroquerie) c'est simplement, après avoir créé une activité qui va rapporter, investir tout de suite dans une autre activité les bénéfices qu'on en attend dans l'année à venir, par exemple. C'est donc bien investir de l'argent qu'on n'a pas, mais dont on sait qu'il va arriver.
Dans le cas qui nous occupe, De Gaulle utilise sa position de leader politique désormais installé à Alger (donc avec autorité - malheureusement encore partagée - sur tous les territoires français non occupés) pour apparaître aux yeux de la Résistance comme le seul leader politique démocratique envisageable, et dans l'autre sens, va se prévaloir du soutien unanime de la Résistance pour faire valoir auprès des Alliés (et de la presse et de l'opinion publique anglo-saxonne) qu'il est le seul responsable disposant d'une réelle autorité sur les mouvements de résistance qui foisonnent en France. (Ainsi que des partis, dans un second temps.)
Le premier temps c'est donc un communiqué du CNR transmis à Londres et Alger (qui sera relayé aux agences de presse) disant en gros :"Nous, résistants de France, ne reconnaissons que la seule autorité du général De Gaulle, et dénions toute légitimité à tout espèce de pouvoir qui se réclamerait, ou serait issu de Vichy." Je crois que Giraud n'est pas explicitement nommé, mais c'est assez clair vu les circonstances.
Sa position ainsi confortée, De Gaulle engage la seconde phase, qui consiste à rameuter cette assemblée consultative envisagée, ce qui suppose de faire revivre les partis démocratiques traditionnels (et les syndicats, accessoirement) une pilule que les chefs des grands réseaux de la Résistance ont beaucoup de mal à avaler : c'est faire revivre des structures de la 3ème république qui n'ont pas spécialement mérité de la Patrie, et c'est un euphémisme.
Passons sur le Parti Communiste (démocratique ? La question sera tout de même relevée par certains) dont on sait quels sacrifices il consent à la Résistance, à la rigueur le Parti socialiste, dont une fraction suffisante a suivi le même mouvement (tandis que le reste votait les pleins pouvoirs à Pétain) mais les Radicaux ? Ou pire encore,
l'Alliance Démocratique ?
Gilles Perrault, sur le mode ironique :"Et l'Alliance Démocratique ? est-ce qu'on tremble, dans les Kommandantur, à l'évocation de l'Alliance Démocratique ? Est-ce que les soirs de coups durs, le vague à l'âme, les résistants se disent "Courage, tout de même, nous avons l'Alliance Démocratique ?"
(1)
De Gaulle adoucira le mot "partis" en "tendances traditionnelles républicaines de l'opinion française", mais ça va renâcler dur, et déjà entre Jean Moulin (qui applique strictement la mission que lui a confié De Gaulle et fera rentrer ces "tendances traditionnelles" dans le CNR) et Pierre Brossolette qui ne veut pas en entendre parler. Ce sera entre les deux hommes une dispute homérique et fracassante dans une réunion clandestine, rue de la Pompe à Paris, si bruyante que les résistants présents chargés de la sécurité craindront une intervention des flics, et d'autant plus, je crois, qu'il y a des officiers allemands logés dans l'immeuble !
Mais Moulin est mandaté par Alger et en tant que tel fera prévaloir son objectif. De Gaulle aura à Alger une assemblée, qui, tout de même, a bonne figure, et comportera à la fois la Résistance, des syndicalistes - résistants presque automatiques, par leur rôle - et suffisamment de personnalités politiques connues des Alliés. (c'était le but immédiat, cet affichage de l'héritage républicain, face à Vichy, avant que cette assemblée évolue plus tard en "assemblée provisoire"... du gouvernement provisoire.)
On voit donc bien le double mouvement dans deux directions (les Alliés et la Résistance) en se prévalant auprès de chacune de ce qu'il a obtenu (ou va obtenir) de l'autre.
Tout cela, et c'est ce qui le sauve - il a la morale pour lui, et en fait bon usage - en construisant les structures démocratiques de l'avenir.
Le plus étonnant est qu'un militaire ait pu avoir un tel talent politique. (Et un caractère parfaitement insupportable, mais qui d'autre, pour ce poste ?)
(1) Et je ne parle même pas de la
Fédération Républicaine, parti de droite qui entrera également au CNR, alors que ses membres principaux sont à Vichy (Brossolette avait quelques raisons de s'énerver) malgré quelques personnalités impeccables qui sauvent l'honneur, tel le marquis
Léonel de Moustier, compagnon de la Libération mort en déportation, dont Calade nous a retracé le parcours.