Au cours de sa visite à Bayeux - son premier retour en terre de France - De Gaulle rencontre Montgomery, commandant en chef des forces alliées, et lui dit négligemment "Je vous laisse François Coulet, qui s'occupera des populations". Montgomery, qui n'est pas un politique, trouve très bien qu'un français s'occupe des populations françaises.
J'ai déjà raconté comment les officiers de l'AMGOT qui débarquent en Normandie font le projet de s'emparer de François Coulet et de le renvoyer à Londres. C'est l'intervention de Eisenhower qui empêche cette folie : c'est eux qu'il met dans un bateau. Eisenhower a fait valoir auprès de Roosevelt que ses arrières sont tenus - sa grande préoccupation - et surtout que le personnel administratif a continué à travailler comme un seul homme : il avait un préfet et sous-préfet français, voilà tout. Par ailleurs la presse anglo-saxonne a fait connaître l'accueil délirant accordé par les populations à De Gaulle. (Bayeux a été libérée pratiquement intacte.)
Edit : Barbetorte a raison, j'emploie le mot préfet au lieu de Commissaire de la République.
Citer :
Ils errèrent quelque temps comme des âmes en peine jusqu’à ce que Roosevelt fit savoir à Alger le 12 juillet qu’il reconnaissait le CFLN (et non le GPRF) qualifié pour l’administration de la France (administration et non gouvernement).
ça c'est drôle. Déjà pour les âmes en peine, mais aussi parce que Roosevelt reconnait très tardivement... une entité vieille de un an, à vue de nez, et surtout qui n'existe plus. Le CLFN (Comité Français de la Libération Nationale) avait toutes les caractéristiques d'un gouvernement, sauf le nom, par égards pour les caprices de Roosevelt, ce qui n'avait pas fait fléchir ce dernier.
Avant de partir de Alger à Londres, De Gaulle a estimé qu'il était temps d'appeler un chat un chat, et que le CFLN devenait le gouvernement provisoire de la France. Mais évidemment Roosevelt n'allait pas reconnaître De Gaulle ni son gouvernement. (Il attendra le 13 octobre, soit deux mois après la Libération de Paris. Commentaire de De Gaulle, devant les journalistes anglo-saxons : "le gouvernement français est satisfait qu'on veuille bien l'appeler par son nom."
)
Les caprices de Roosevelt sont très démocratiques dans l'absolu et en apparence : il estime que personne ne peut établir un pouvoir en France faute de pouvoir y tenir des élections libres. - d'où l'idée de l'AMGOT. Le seul inconvénient est qu'il désigne en Afrique du Nord (et de quel droit ?) à deux reprises (Darlan puis Giraud) des "commandants civils et militaires" vichystes, et qu'il est prêt à voir les officiers de l'Amgot en France travailler avec les préfets de Vichy. Ce qui signifiait la guerre civile immédiate avec la résistance, qui aurait pris le pouvoir dans chaque département, une solution que les communistes auraient adorée.
Eisenhower s'en faisait un souci monstre, et "pétitionnait" son gouvernement pour qu'un accord de gouvernance, ou un mémorandum réglant les rapports avec l'administration du pays par De Gaulle soit signé AVANT le débarquement. Lui ne voulait pas gouverner la France, il voulait que les territoires libérés soient calmes (sans grèves des trains ni mouvement insurrectionnels ou autres...) et ses troupes normalement ravitaillées. L'idée de devoir maintenir l'ordre en France, ce qui impliquait de fusiller éventuellement des Français, lui était insupportable.
Donc pour Eisenhower, la solution De Gaulle s'imposait, et il a usé de son autorité sur le terrain, en Normandie, pour en sortir les gens de l'AMGOT, dont il ne voulait pas. En théorie il risquait sa place, mais d'une part il s'en est expliqué auprès de son gouvernement, et de toute façon l'opinion publique alliée n'aurait pas compris qu'il soit sanctionné après avoir réussi le débarquement, surtout pour avoir soutenu un De Gaulle accueilli à bras ouverts en France. Roosevelt a dû faire avec...