Liber censualis a écrit :
Vous avez raison, les "diaboliques " étaient seuls ou presque à la manœuvre anti-chaban en 72. Ils seront néanmoins rejoins en avril 74 par 43 parlementaires UDR pour torpiller sa candidature.
Oui, à l'initiative d'un certain... Jacques Chirac (secondé par Pierre Juillet et Marie-France Garaud). Après avoir encouragé Pierre Messmer à se présenter, ce que Frédéric Turpin raconte avec force de détails dans la biographie qu'il lui a consacré (en 2020), Chirac prend la tête de l'Appel des 43, qui plombe la candidature de Chaban. Quarante-trois signatures qu'il récolte dans des conditions parfois rocambolesque. Pierre Manenti, dans le livre cité plus haut, raconte même l'anecdote d'un député débusqué en vacances, au bord de sa piscine, et sommé de signer en plein week-end ! Cela donne une idée de l'ambiance.
Duc de Raguse a écrit :
En tout cas merci Jadis pour ces éclairages - essentiellement sur l'hypothèse de la candidature de Capitant que j'ignorais totalement.
My pleasure. Episode assez méconnu et pourtant témoin des tensions de l'époque, y compris au sein du camp gaulliste. Jacques Dauer, qui présidait alors le Front du Progrès (un micro-parti gaulliste, positionné sur son aile gauche), en était un des principaux organisateurs. Le positionnement du général de Gaulle sur cette candidature n'est pas vraiment clair. Il semble cependant qu'il ait demandé à son gendre de "débrancher" Capitant pour éviter une dissidence gaulliste à la candidatue Pompidou.
Duc de Raguse a écrit :
Ce n'est qu'une opinion personnelle, mais je pense que Pompidou était foncièrement plus conservateur socialement que De Gaulle. Lorsque Pompidou "lâche du lest" en 1968 - essentiellement face à des syndicats, qui eux-mêmes ne comprenaient pas cette révolte estudiantine en quête de réformes culturelles et sociétales -, il souhaite simplement faire rentrer les gens chez eux, pour que tout rentre rapidement dans l'ordre ; l'ordre public ayant été sérieusement mis à mal pendant plus d'un mois.
Il est vrai que De Gaulle semble avoir été totalement dépassé durant ce mois de mai, en proie au doute face à des Français qu'il ne comprenait plus, certes, mais, ensuite, il tente de réformer en prenant en compte les aspirations populaires exprimées - bien au-delà de la célèbre "participation" - et la place et l'influence des "gaullistes de gauche" furent importantes dans le gouvernement éphémère du "rigide" Couve de Murville (9 mois seulement).
N'était-ce pas visionnaire, voire "révolutionnaire", que de proposer, en avril 1969, une réforme du Sénat en y intégrant la société civile et un transfert de compétences important à des régions qui n'existaient jusqu'alors que sur le papier ?
D'autant plus que ces projets ne furent pas repris sous le mandat de Pompidou, encore moins sous celui de VGE...
Sur Pompidou en mai 1968, il faut d'abord se souvenir que le Premier ministre était absent jusqu'au 11 mai (pour cause de voyage en Iran puis en Afghanistan). Depuis l'étranger, le 10 mai, il télégraphie à Jobert (son chef de cabinet) qu'il faut réouvrir la Sorbonne, ce qu'il fait le 13 mai avant d'annoncer à l'Assemblée nationale, le 14 mai, une réforme des universités. En fait, très rapidement, Pompidou cherche à isoler "le problème étudiant" pour traiter la crise de mai séparément, notamment avec les accords de Grenelle.
A partir du 17 mai, Pompidou prend personnellement en main la gestion de la crise avec une réunion matinale tous les jours à Matignon. Toutefois, de Gaulle ne "comprend pas cette crise" et n'y voit que les casseurs - il faut se souvenir de l'importance de l'affaire Cohn-Bendit dans le débat public, ses insultes à Missoffe en janvier, les lourds dégâts lors de la création du mouvement du 22 mars, les heurts répétés avec la police mais aussi la nuit des barricades du 10 au 11 mai.
Le général de Gaulle était lui-même à l'étranger pendant une partie de la crise (en Roumanie), du 13 au 18 mai, d'où une forme d'agacement à son retour lorsqu'il apprend l'extension de la grève générale, les occupations d'usines, etc. Cela explique aussi son propos choquant lorsqu'il évoque avec Messmer la possibilité de tirer dans la foule pour disperser des émeutes (19 mai)...
Si de Gaulle est un homme d'intuitions, avec une puissante conviction sociale (qui nourrit sa théorie de la participation mais aussi de nombreuses réformes menées pendant son mandat puis les thèmes du référendum de 1969), sa gestion de la crise est tout sauf sociale. Le point culminant étant la "disparition" du 29 mai. Lorsqu'il revient, il imagine un référendum, mais Pompidou lui tient tête et obtient la dissolution de l'Assemblée nationale et l'annonce de nouvelles élections comme un électrochoc politique.
Le discours du 24 mai du général de Gaulle (sur la rénovation universitaire, sociale et économique) est "tombé dans le vide" et de Gaulle accepte finalement la "stratégie du 29 mai" et la victoire parlementaire du 30 juin. Le référendum est un objet de débats mais reste dans les cartons jusqu'au 2 février 1969, quand le général remet le sujet sur la table lors d'un déplacement à Quimper (réforme de la régionalisation et réforme du Sénat), ce qui est certes novateur mais, raconté ainsi, prend de la distance par rapport à une histoire qui présente le référendum comme "la solution du général de Gaulle à mai 1968".
Quant à dire si Pompidou est plus opposé à ce référendum en janvier-février 1969, l'ancien Premier ministre est surtout obnubilé par l'affaire Markovic - dans laquelle il se sent trahi et sali. Depuis Rome, interrogé, il annonce qu'il sera candidat à l'Elysée lorsque le général de Gaulle se retirera (ce qui dans le contexte ne paraît pas nouveau mais crée une polémique en France, surtout dans les cercles de pouvoir) ; puis le 12 février, quelques jours plus tard et après l'annonce du référendum à Quimper, il enfonce le clou sur son éventuelle candidature en cas de vacance, nourrissant la rupture avec le Général (que Debré et Foccart essaient néanmoins d'amenuiser lors d'un dîner mi-mars 1969, en vain).