Liber censualis a écrit :
Pour Tooze, l'armistice est une véritable "mise en scène du scénario wilsonien". Certes les allemands ont beau jeu de faire appel à lui quand leurs armées sont en déroute et qu'ils veulent assurer la survie de l'Allemagne en sollicitant l'arbitrage américain sur la base du multilatéralisme, de la paix sans victoire contenue dans les 14 points. Néanmoins, ils ne sont pas dupes (c'est le cas de Max de Bade ou des leaders du SPD) que ce faisant, Wilson pourra appliquer son programme réel qui est d'instaurer un leadership économique américain sur l'Europe et une "pax americana" mondiale.
J'ai fait un tour du côté de chez Renouvin - au passage, son ouvrage est excellent - et il ne dit pas autre chose, même si en demeurant très factuel, la chronologie des événements peut laisser penser que les Allemands se sont laissés berner lorsqu'ils font appel à lui au début du mois d'octobre, suite à la mise en scène théâtrale réalisée par Ludendorff à la fin du mois de septembre, expliquant qu'il fallait négocier un armistice très rapidement.
En effet, les premières notes échangées entre Wilson - qui tient totalement à l'écart ses alliés de la discussion - et le gouvernement de Max de Bade, laissent entrevoir une sortie honorable pour les Allemands sur la base des 14 points, qui pouvaient être interprétés de différentes manières. Mais à la fin du mois, Wilson, en clarifiant les conditions du futur armistice - tout en précisant que ce sera aux militaires de le rédiger sous la houlette de Foch (entre temps Wilson avait inclus les principaux chefs des gouvernements de l'Entente à l'opération) -, est bien moins bienveillant à l'encontre de l'Allemagne qu'il pouvait y paraitre au départ. Wilson souhaite tout simplement que les Allemands déposent toutes leurs armes - pour qu'ils ne puissent pas reprendre le combat (Ludendorff et les membres du cabinet de Bade pensaient que cela pourrait constituer un levier dans le contexte d'une paix jugée infamante) et qu'ils devaient se retirer de toutes les régions qu'ils occupaient.
Les Allemands sont sidérés, ils tentent de biaiser, de gagner du temps, mais à la fin du mois d'octobre et au début de novembre les conditions ont changé : la révolution couve et il leur est impossible de la mâter. Wilson tarde à répondre et devant de le risque de devoir capituler avant que l'armistice ne soit signée, certains militaires allemands demandent même qu'on négocie directement avec Foch et plus avec Wilson, qui leur parait être finalement un traitre, tant les conditions posées sont proches des franco-anglais.
En somme, le président américain ressemble davantage à un "as de pique" dans le camp de l'Entente que les Allemands ont pioché malencontreusement. Car le "scénario wilsonien" ressemble pratiquement au franco-anglais.
Le 11 novembre Foch déclara qu'il avait obtenu ce qu'il souhaitait : des Allemands à genoux, dans l'incapacité de pouvoir reprendre les armes, avec des garanties satisfaisantes pour la paix qui allait se négocier. Ni Clemenceau, ni Loyd George, ni les militaires français n'ont eu l'impression que Wilson leur dictait la future paix, bien au contraire.
Par contre, ils ont eu pendant toute la première quinzaine du mois d'octobre une crainte importante (ce que les Allemands pensaient être leur dernière chance), au même titre que le parti républicain : que Wilson ne fasse une paix seul - un sénateur républicain avait alors menacé Wilson de lancer une procédure d'
impeachment, appuyé en sous-main par T. Roosevelt -, bien trop clémente, avec l'Allemagne.
Les notes de Wilson de la fin octobre et du début novembre rassurèrent ses alliés (surtout les Français, avec la mention de l'Alsace-Lorraine qui n'apparaissait pas au départ à la grande joie des Allemands), d'autant plus qu'il se retirait quelque peu de la partie, laissant les militaires faire.
En somme, le "scénario wilsonien", qui est avant tout déclenché par les Allemands - qui s'en mangeront les doigts ensuite... -, semble au départ différent de celui des franco-britanniques, pour finalement s'approcher de celui-ci et des principales vues des officiers généraux des armées occidentales dirigées par Foch.
Pierma a écrit :
Il me semble bien avoir lu que les franco-britanniques n'imaginaient en aucun cas entrer en Allemagne sans la participation des troupes américaines, et que Wilson s'y refusait absolument.
Là aussi, j'ai trouvé une foule d'informations à ce sujet dans l'ouvrage de Renouvin.
En réalité aucun officier général de l'Entente ne pensait qu'il était possible de poursuivre le conflit et que l'armistice du 11 novembre était largement satisfaisant. Ils avaient fort bien compris que les troupes ne souhaitaient plus consentir à un effort supplémentaire de cette envergure après 51 mois de combats, qui plus est, lorsque la question s'est posée au début du mois de novembre, la révolution avait commencé en Allemagne et leur peur d'un bolchevisme triomphant et risquant de se répandre sur toute l'Europe n'était pas une fiction.
Cela dit, des échanges ont eu lieu entre Foch, Pétain, Haig, Pershing et Biss (et le colonel House pas trop loin...) à ce sujet dans l'optique où les Allemands rejetteraient les conditions de cet armistice - ils ne pouvaient le faire au regard de la situation militaire et, surtout intérieure, dans les villes allemands.
Les Français semblaient être disposés à entrer en Allemagne, jusqu'à Berlin s'il le fallait (l'offensive sur Metz était déjà prête) et Pétain, souvent présenté comme un adepte de l'option défensive, était disposé à mener une opération d'envergure, quitte à perdre de nombreux hommes. Les Anglais n'y étaient pas du tout favorables et, à ma grande surprise, j'ai pu constater que c'était les deux généraux américains qui étaient prêts à marcher le plus rapidement sur Berlin, sans se soucier des conséquences (visiblement Pershing n'aimait par Wilson et suite aux élections législatives qui avaient vu la défaite de Wilson, il savait que le "roi était nu").
Mais, comme on le sait bien, les conditions de l'armistice du 11 novembre étaient largement suffisantes pour Foch et ses compagnons, ils n'ont pas eu besoin de recourir à cette extrémité.