Pierma a écrit :
Le principal reproche qu'on puisse faire à Joffre est son obsession de l'offensive à outrance, dont il n'a pas voulu se défaire jusqu'à la fin 1916, où les politiques, lassés du bain de sang qui durait depuis 2 ans1/2, ont décidé de s'en séparer.
En 1915, alors qu'il devrait limiter les offensives locales très couteuses, au contraire il laisse faire chaque général, les abritant de cette phrase qui est un comble d'idiotie :"Je les grignote".
Début août 14, prendre l'offensive aux frontières - surtout dans les Ardennes - était absurde compte-tenu du rapport de force. Après ça il n'y a pas de quoi se vanter d'être "le vainqueur de la Marne", ce qui signifie avant tout qu'on a été contraint de retraiter jusque-là.
Joffre a gagné la bataille de la Marne parce qu'il a su garder son sang froid dans une situation difficile ? Dans chacune de ses batailles Joffre a toujours été persuadé qu'il allait vaincre les Allemands, pourquoi aurait-il pensé différemment cette fois-ci ?
Quand on lui montre le prototype du casque Adrian :"Mon ami, vous n'aurez pas le temps de le fabriquer, je tordrai les boches avant trois mois."
Et oui, c'est bien lui qui est responsable du manque de coordination entre l'artillerie et l'infanterie au début de la guerre : c'est à lui d'entrainer son armée selon les principes tactiques qu'il estime pertinent. (Il ne manquait pas de généraux pour avoir repéré ce défaut. Pour autant la découverte des méthodes tactiques allemandes sera une dure surprise. Et on ne parle pas de son choix de faire l'impasse sur l'artillerie lourde, rendue soit-disant inutile par la rapidité des mouvements offensifs qu'il prévoyait.)
Alors qu'il n'a commandé que jusqu'à la fin 1916, Joffre est responsable des 2/3 des pertes françaises. (Il faut de plus ajouter Nivelle à ce décompte macabre du coût de l'obsession offensive. Il faudra attendre mai 1917 et la mutinerie justifiée des Poilus pour voir enfin l'armée française commandée de façon sensée.)
Certes , en tant que responsable du GQG, on peut évidemment estimer que Joffre est responsable de tout. Et apparemment, surtout des erreurs mais curieusement pas de la victoire de la Marne ?
Je vais donc me faire moi aussi en partie l’avocat du diable sans vouloir occulter les lourdes responsabilité de Joffre que je ne répète pas.
Sur "l’offensive à outrance" : la vidéo proposée par Nicolas Bassenge montre ce qu’il faut penser de cette notion. Notamment : toutes les armées en 1914 ont une doctrine offensive, pas que la France ; ajoutons que tous les politiques (ceux-là même qui en 1916 seront paraît-il las du bain de sang), les journaux, bref ce qui fait à l’époque « l’opinion publique », mais aussi le ministre de la guerre pousse aussi à l’offensive. La vidéo rappelle aussi que dans l’idée d’une guerre courte, il s’agit de prendre au plus vite des gages sur l’Alsace et la Lorraine. On peut dire qu’il y a une forme de consensus en 1914 sur la nécessité de l’offensive.
Quant à l’outrance, elle semble avoir été bien exagérée et les historiens actuels en reviennent. Il y a loin entre les discours des « jeunes turcs » (que l’on a surtout mis en lumière après-guerre) et les pratiques réelles sur le terrain. Il est tentant d’encenser le bon sens de Lanrezac et de Pétain, mais les deux ont été professeurs à l’école supérieure de guerre, preuve qu’ils n’étaient pas si isolés que cela et qu'ils ont eu l'occasion de former des officiers.
Sur la responsabilité concernant les principes tactiques, j’ai trouvé au hasard de mes lectures les citations suivantes.
Le GQG écrit le 24 août 1914 : « Chaque fois que l'on veut conquérir un point d'appui, il faut préparer l'attaque avec l'artillerie, retenir l'infanterie et ne la lancer à l'assaut qu'à une distance où on est certain de pouvoir atteindre l'objectif. [...] L'infanterie semble ignorer la nécessité de s'organiser au combat pour la durée. Jetant, de suite, en ligne des unités nombreuses et denses, elle les expose immédiatement au feu de l'adversaire qui les décime, arrête, ainsi, net, leur offensive et les laisse souvent à la merci d'une contre-attaque. ».
En janvier 1916 : « on ne lutte pas avec des hommes contre du matériel », et il faut « éviter de donner trop de densité à la ligne de combat ».
Il faut croire que ce message (qui n'est pas la marque d'une offensive "à outrance") avait tout de même du mal à passer.
Et de même la vidéo suscitée rappelle les responsabilités de divers généraux de division ou de corps d’armée dans le désastre.
Par ailleurs, un intervenant de la vidéo rappelle que l’entraînement insuffisant et inadapté était notamment dû au manque de terrains de manœuvre : or cette responsabilité incombait non à Joffre mais au ministère de la guerre qui répugnait à exproprier des paysans-électeurs et manquait de budget…
Enfin, en 1916, si les politiques se séparent de Joffre, ce n’est pas à cause du « bain de sang » de ses offensives. Il y a de multiples raisons, notamment politiques : opposition au cabinet Briand (qui d’ailleurs sautera juste après), volonté de députés de contrôler plus étroitement le GQG à la place du ministre de la guerre. On lui reproche le manque de résultats (et comment obtenir des résultats sans attaquer?), les échecs subis dans la défense de Verdun (qui n’est pourtant pas une offensive de Joffre…) ; le fait déclencheur final est sa volonté de démettre le général Sarrail qui, déjà limogé une fois et repêché grâce à ses soutiens politiques, est en charge du front d’Orient, où il fait essentiellement pas grand-chose.
Dans un contexte où les notions de courage, de volonté, de sacrifice, ont été exaltées jusqu’au délire par les politiques et la presse, y compris après 1914, ce n’est certainement pas l’ampleur des pertes qui motive la mise à l’écart de Joffre.
Et enfin, sur l'erreur majeure consistant à vouloir attaquer dans les Ardennes impénétrables : je me dois de rappeler que le leçon sera parfaitement retenue par Gamelin en 1940.