La situation du 2e Bureau "de Vichy" est assez paradoxale : alors qu'il est par ses statuts rattaché à Vichy (Il doit être statutairement le 2e Bureau de l'Armée de l'Armistice, il me semble) en réalité il n'en fait qu'à sa tête, n'obéit qu'aux missions qui lui conviennent et décide lui-même de celles qu'il se donne en plus. Il est en relation permanente avec l'Intelligence Service auquel il transmet des informations.
La coopération est moins facile avec le BCRA, mais les envoyés de De Gaulle y sont bien reçus (j'ai oublié leurs noms) et sont mis au courant des activités de ce service.
Très vite, ces officiers, dont certains appartiennent aux services spéciaux depuis les années 30, sont contraints de tenir compte de la dérive de Vichy, en particulier de Laval, vers la trahison pure et simple. De sorte que dès 1941, il y a une "tête" officielle, le colonel Louis Baril et quelques officiers, tandis que le reste des officiers passe dans la clandestinité, un bon nombre en tant qu'agents administratifs du Service des Travaux Ruraux, un service du ministère de l'agriculture de Vichy.
Ceci est bien décrit dans l'article Wiki sur Louis Baril :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Barille 2e Bureau utilise couramment les services de fonctionnaires de Vichy. Attention : il n'y a aucun lien organique ou officiel. Simplement, ils savent qui penche du côté allemand et qui est (parfois discrètement) décidé à les combattre - bien souvent tout en restant fidèle à Pétain. Au besoin, on mute des fonctionnaires sympathisants dans un service dont on veut s'assurer le contrôle. Au total, tous les services importants de Vichy sont truffés de sympathisants auxquels on peut faire appel pour de menus services.
Parmi les services importants, il y a le Bureau du Recensement du
contrôleur général Carmille, qui prépare discrètement, sur fiches perforées, la mobilisation de tous les jeunes Français. (il invente au passage le futur "n° de sécu", et son service deviendra plus tard l'actuelle INSEE.) Celui-ci se fera prendre par la Gestapo, mais son travail servira pour la mobilisation en AFN.
Un autre service de Vichy qui ne peut les laisser indifférents est le service des Prisonniers de Guerre. Ce service est chargé à la fois de suivre la situation des prisonniers de guerre en Allemagne - localisation, courrier, santé, travail demandé aux hommes de troupe - de leur faire parvenir l'aide collectée auprès des Français, sous forme de colis alimentaires ou de vêtements chauds, de leur envoyer des artistes style Maurice Chevalier ou Fernandel, pour leur remonter le moral, de leur balancer la propagande du Maréchal et j'en oublie. Pour le 2e Bureau, un fromage : c'est autant de sources sur l'Allemagne, de futurs résistants lorsqu'ils sont libérés, d'occasions d'envoyer des Français leur rendre visite (sans parler des correspondants "administratifs" installés en Allemagne, indispensables pour effectuer la liaison avec les autorités allemandes) et bien sûr un vivier d'officiers de l'armée de 40 dont certains sont vivement demandés par l'Armée d'Afrique.
François Mitterrand, évadé d'Allemagne, fait partie des fonctionnaires affectés intentionnellement à ce service, dont les petites mains passent leur temps à glisser ou à récupérer dans les colis toutes sortes de documents passionnants. Les Allemands finiront par s'en apercevoir, exigeront et obtiendront en 43 un changement de tous les cadres de ce service. Je ne connais pas le détail, mais en gros, à cette date, ce service a déjà un double dans la Résistance, un réseau qui recueille ces cadres, lesquels s'efforcent de renouer les contacts utiles.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rassemblement_national_des_prisonniers_de_guerre(Je simplifie une histoire plus compliquée, parce que la Résistance s'était intéressée elle-même de son côté à établir des liens avec les prisonniers de guerre.)
Sachant par ailleurs que les petites mains n'ont pas changé, le Service vichyste lui-même restera infiltré, et la Milice y fera le ménage bien tardivement, disons début 44.
Nota : je pense que Mitterrand ne mettait pas en avant son parcours à Vichy, non pas parce qu'il aurait été marqué par la trahison, au contraire, mais parce qu'il avait commencé sous la couleur d'une vive admiration pour Pétain, classique chez les prisonniers évadés - d'où une francisque très gênante - et parce que l'idée qu'il y ait pu avoir des activités de résistance dans les services mêmes de Vichy était incompréhensible par le grand public.
L'article de Wiki sur Mitterrand pendant la SGM me semble assez bien fait.
[url]https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Mitterrand_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale[/url]
Laval finit par se lasser du 2e Bureau (disons que ses employeurs allemands se plaignent que leurs espions continuent à se faire arrêter et fusiller, entre autres soucis) et obtient sa dissolution, ce qui ne change rien en pratique, à part le fait que Baril est muté en AFN et que tous les officiers qui ne l'avaient pas encore fait "plongent" dans la clandestinité.
Après le débarquement américain, Baril sera nommé chef d'un service de renseignement interallié pour l'AFN, ce qui souligne en quel estime on tenait ses activités, mais il se tuera peu après dans un accident d'avion.
Le colonel Paillole, qui dirige depuis l'avant-guerre le Contre-Espionnage (ce qui inclut aussi la pénétration des services allemands - l'Abwehr en particulier - et par voie de conséquence les opérations d'intoxication, c'est à dire la fourniture de faux renseignements à ces mêmes services) passe lui aussi à Alger au moment de l'invasion de la zone libre, et va y installer la direction de ses services.
En revanche, tous les officiers passés dans la clandestinité (les Travaux Ruraux) resteront en France pour y continuer leur travail de renseignement, souvent en liaison avec des mouvements de résistance, et y survivront en tant que réseau constitué, malgré de lourdes pertes. (ils constituaient une des cibles n°1 des services allemands.)
Le 2e Bureau de l'Armée d'Afrique fusionnera ensuite à Alger avec le BCRA gaulliste (provenant de Londres) au cours d'une OPA gaulliste plutôt brutale, mais Paillole, à force de compétence, et parce qu'il est au coeur de toutes les opérations d'intoxication menées par les alliés sur ce théâtre d'opération, réussit à conserver son poste et ses services.
Sur toute cette histoire, on peut lire les mémoires de Paillole, ainsi que les deux tomes de "Mes camarades sont morts" de Pierre Nord, lui-même officier du 2e Bureau, puis responsable adjoint d'un réseau de résistance monté par ce service.