Pierma a écrit :
Atlante, j'aurais tendance à vous accorder le point : des périodes où la possibilité de manger à sa faim n'était pas garantie devaient connaître leur lot de problèmes psychosomatiques liés à l'angoisse.
Je ne pense pas qu'à l'angoisse de manger à sa faim. C'était certes la plus omniprésente, mais il n'y avait pas que ça.
J'ai eu à me pencher (ça ne concerne pas du tout la Préhistoire, mais je pense que ça touche à peu près toutes les époques) sur le cas d'une "miraculée" dans un bled paumé en pleine Beauce, avec tout une bataille religieuse autour (ça tombe en plein dans les rivalités Catholiques / Jansénistes... et je vous assure que pour se fader
Les Nouvelles Ecclésiastiques, ce n'est plus du courage, qu'il faut, mais de l'abnégation). Question troubles psychosomatiques, il y a vraiment de quoi faire toute une étude. Les médecins de l'époque ont conclu à de "l'hystérie". Ce qui est assez amusant, si l'on peut dire, c'est qu'un médecin bien de notre époque, lui, vu les éléments, en est arrivé au même diagnostic. Évidemment, les mesures de prophylaxie envisagées sont radicalement différentes... Bref, si cette "miraculée" avait été guérie par l'intercession d'une relique agréée par les autorités ecclésiastiques, elle aurait été aussitôt reconnue comme une héroïne, voire une sainte. Manque de bol, la relique en question (et quelle relique !) ne l'était pas et la pauvre femme a subi des pressions psychologiques épouvantables. Quant aux conditions de vie décrites et à la nature de ses maux, je vous fais grâce des détails, c'est tout bonnement répugnant.
Vous me direz : c'est un exemple et ça ne vaut pas pour la majorité. C'est vrai. Sauf qu'elle n'est ni la première, ni la seule (il y en a même beaucoup), et que le culte des reliques (et leurs prétendus miracles) ne concerne pas que les mouvements dissidents, mais aussi la religion officielle. Et ça ne s'arrête pas à ça. J'ai eu l'occasion d'étudier, il y a longtemps, un sujet plutôt soporifique intitulé "mystique rhéno-flamande" qui comprenait, entre autres choses, les mouvements de béguines à l'époque médiévale. Toutes ces femmes qui racontent leurs "visions" dans des textes parfois magnifiques seraient automatiquement classées comme démentes aujourd'hui.
On a du mal à se représenter que les pressions "morales" étaient constantes (et la mort omniprésente, aussi), que tous ces gens vivaient dans la terreur du Jugement Dernier, du Purgatoire, de l'Enfer... Que beaucoup connaissaient des enfances et des adolescences épouvantables (pas de protection de l'enfance, des conditions de vie inimaginables, des parents qui disparaissent tôt, des travaux quotidiens harassants...). Tout cela laissait des traces profondes et indélébiles. Il n'y a d'ailleurs pas besoin de remonter aussi loin, même sur le XXe siècle on en trouve encore.
Pierma a écrit :
Mais notez tout de même que l'évolution ne nous a absolument pas préparés à cette inactivité inattendue : passer huit heures assis en classe sur une chaise. (Je ne sais pas si vous avez vécu l'expérience de retrouver cette épreuve alors que votre métier - d'enseignant, typiquement - est autrement plus mobile : d'expérience je vous garantis que c'est une dure épreuve, au début.)
Nous ne sommes pas préparés et s'y retrouver brutalement confronté, je vous l'accorde, est éprouvant.
Mais l'être humain s'adapte vite et trouve des parades lorsqu'il est confronté à des difficultés. Ce sont les contraintes, d'ailleurs, qui le rendent ingénieux. Nous avons l'avantage non négligeable, à notre époque, d'avoir le choix et l'exercice de notre libre-arbitre. A l'exception de quelques catastrophes météo ponctuelles, nous ne "subissons" plus les éléments qui ne nous condamnent plus au spectre de la famine si quelques années de mauvais temps s'enchaînent. Et côté spirituel, nous avons aussi le choix (même s'il reste quelques poches d'embrigadement et de fanatisme). Même du côté de l'éducation et des familles, globalement (il y a toujours hélas des exceptions et des faits divers qui font froid dans le dos), les choses n'ont plus rien à voir. Ça enlève quand même pas mal de pressions psychologiques.
Pierma a écrit :
Cette discussion est intéressante, mais nous comparons des conditions vraiment trop différentes. (Et on s'éloigne un peu du sujet.)
Pas tout-à-fait. Il est difficile de faire des comparaisons avec un monde (la Préhistoire) totalement éteint, dans la mesure où les quelques cultures tribales encore subsistantes n'ont rien à voir elles-mêmes avec cette période révolue. Mais l'homme "moderne" (actuel) est "né" à cette période charnière, encore trouble, où se répandent les croyances primitives, puis lors de la sédentarisation et des premières civilisations qui concentrent et "organisent" des systèmes de vie et de pensée. Nous en sommes les lointains héritiers... pour le meilleur et pour le pire. Il faudra encore quelques décennies avant que certaines choses disparaissent totalement. Mais quelques décennies en regard d'une cinquantaine de millénaires, ce n'est rien.