Bonsoir Harrachi78,
Désolé de n'avoir pas répondu depuis plusieurs jours.
Harrachi78 a écrit :
les deux optiques ne peuvent vraiment coexister dans un même espace sans se rentrer dedans. Or, le modèle saoudien est dès l'origine une manifestation de cette optique "islamiste" dans sa forme la plus rigoriste et il ne peut donc être compté dans le mouvement arabiste et encore moins dans le nationalisme arabe ... pour des raisons objectives.
Vous avez raison. De même que vous lorsque vous parlez d'Islam au sens large, lorsque je parlais de panarabisme dans le premier post, il fallait l'entendre au sens large, étymologique, et non au sens étroit du seul parti Baath. C'est mon erreur car le mot
panarabe est depuis associé à ce parti. Pour autant, je ne sache pas qu'il ait entièrement phagocyté le mot, et il faudrait qu'un historien du langage retrouve les premières itérations avant le Baath. L'idéologie, pour l'avez mentionné, était celle de la Nahda.
Au sens étymologique du préfixe pan- ,
panarabisme signifiait vouloir considérer le monde arabe comme englobant une totalité
la plus grande possible (comme "pangermanisme" ou "panrusse"). On pourrait utiliser un autre terme,
arabocentrisme (qui risque aussi plusieurs interprétations, une représentation du monde centrée sur les valeurs arabes, comme l'européocentrisme). Disons plus simplement un
universalisme arabe. C'est à dire vouloir englober plusieurs groupes nationaux et ethniques dans leur totalité au sein d'un groupe plus large, celui de l'arabité.
Votre seul vrai désaccord semble être avec les Libanais qui se disent "Phéniciens" et non "Arabes". Il faudrait leur demander ce qu'ils entendent par là. Pour moi, qui ne suis ni Phénicien, ni Libanais, il suffit à cette discussion de savoir qu'ils ne se considèrent pas comme Arabes: c'est leur droit. Un droit que vous reconnaissez aux berbères d'Afrique du Nord. Pour être complet, il faudrait aussi demander aux Saoudiens s'ils considèrent les Marocains et Libanais comme des arabes à part entière. Cela apporterait peut-être une réponse intéressante à la question "y a-t-il un universalisme arabe saoudien?".
Harrachi78 a écrit :
Le seul souci est que le schémas dėcrit s'applique pratiquement à tous les groupes éthniques et nationaux existant sur terre et, du coup, il reviendrait à dire qu'il n'en existe aucun vraiment. (...) un certain nėgationnisme.
J'éviterais l'emploi de"négationisme", avec un seul "n", car en Histoire il est lourd de sens et renvoie à la négation de l'existence de crimes historiques (Rwanda, Arménie, IIIe Reich, Mandchourie, Srebrenica...). C'est un terme assez chargé pour éviter de l'utiliser pour autre chose, au risque de connoter et d'atteindre un point qui serait stérile à la discussion. Je crois qu'il ne s'applique ni de près ni de loin ici.
Il s'agit de définir un groupe, et le "schéma" s'applique bien à tous les groupes ethniques et nationaux: si on utilise un terme, il faut définir des critères. Au hasard, je prends des groupes commençant par H-A-R comme Harrachi :
H- Hashémites: descendants de la tribu des Quraychites. Nous sommes dans le registre tribal que j'évoquais en tout premier. Critère objectif. Les Arabes sont-ils une tribu, ou un ensemble de tribus? Si oui, c'est un critère objectif acceptable, mais fort restreint, et il faut alors préciser quelles tribus.
A - Américains: groupe national des citoyens des Etats-Unis. Détenteurs d'une nationalité, sans exception. Critère objectif. Les Arabes sont-ils un groupe national de citoyens? Si oui, définir de quel(s) pays.
R- Rohingya: groupe ethnique de langue indo-européenne et de religion musulmane vivant principalement dans le nord de l'État d'Arakan à l'ouest de la Birmanie. 3 critères objectifs combinés et clairement définis: la langue, la religion, le territoire. Ce sont aussi les 3 critères qu'on peut proposer pour "Arabes", mais il semble y avoir débat pour chacun des trois.
Citer :
je pourrais souscrire (...) dans le cas de Berbères au Maghreb ou des Kurdes en Orient
Vos amenez un nouvel exemple intéressant. Vous divisez l'Irak actuel entre un pays arabe et un pays kurde. De facto, c'est en effet le cas. Seul l'Irak du Sud peut être considéré comme Arabe, à l'exception de petites minorités.
Citer :
C'est un simple constat, observable actuellement et vérifiable sur le plan historique. Les choses ont quelque peu changé depuis 150 ans de par l'évolution qu'on a dėcrit, mais le fait reste encore bien tangible de nos jours (...). Musulmans, Chrétiens ou Juif, tout le monde arabe baignait dans le même univers mental, partageait les même conceptes et parlait le même langage et la même langue, un peu à l'image de la Romanitas en son temps.
Il est compliqué de répondre à ça car aucun des termes n'est spécifique. Si le "simple constat" est que "
tout le monde arabe baignait dans le même univers mental", il reste à définir tous les termes: vous parlez du "Monde arabe", concept géographique, dont on a vu qu'il n'est pas "les arabes". "Univers mental" , quel est-il? Lois? Religion? Coutumes? Langue? Tous les quatre? Aucun? L'usage de l'imparfait : pourquoi vous arrêtez-vous à 150 ans en arrière? Comment définiriez-vous différemment les arabes au XXe siècle?
Tout ceci si nous posons que "Monde arabe" est un critère géographique qui va du Maroc au sud de Kirkouk en Irak, incluant la Péninsule arabique. La limite Nord de ce monde est la Méditerranée et Kirkouk en Irak, mais quid de la limite sud et des pays non méditerranéens tels le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad largement francophone, le Soudan? Comme l'Irak, il faudrait partager certains territoires? Comment?
Mais nous parlions de la définition "des arabes", non du "Monde arabe", concepts différents. Le groupe "les arabes" englobe-t-il comme vous le suggérez "tous les Musulmans, Chrétiens ou Juifs" du "Monde Arabe"? J'ai montré que loin d'être un "simple constat", cette position est discutable et surtout contestée par les intéressés, puisque dans ce "Monde Arabe", en Egypte, en Algérie, il y a des Musulmans qui ne se considèrent pas comme Arabes.
"
partageait les même conceptes" (sic). Cela non plus n'est pas un simple constat. Il faut le qualifier. Les Musulmans sunnites d'Alger diffèrent des Chiites irakiens dans leurs concepts, et il n'est pas incongru de dire qu'ils partagent aussi (davantage?) leur mode de vie et leur
univers mental avec l'Europe méditerranéenne.
"Le même langage et la même langue, un peu à l'image de la Romanitas en son temps." Le parallèle est intéressant, et même crucial.
J'écarte
Romanitas si par là vous entendez l'identité romaine sous l'Empire Romain, on ne peut pas dire des habitants de tout l'Empire qu'ils étaient des Romains. Rome ne les considérait pas comme tels, et cet Empire avait un centre rayonnant. Quel serait le
centre rayonnant du Monde Arabe?
La
romanitas n'était pas
seulement définie par la langue, mais vous mettez judicieusement en exergue la langue. Si vous entendez le monde parlant latin, nous en revenons au concept d'arabophonie dont je disais d'emblée qu'il est plus précis. Il n'est pourtant pas parfait:
1. il divise les territoires, parmi les seuls berbérophones, ceux qui parlent Chleuh, Rifain, Tamazigh, Berbère standardisé, Kabyle, Chaoui, Tamasheq.
2. il ne rend pas compte de la diversité des langues dites arabes (ammeyya)
3. il n'inclut pas les non arabophones qui se désignent comme arabes
L'historien Michel de Certeau a mis en évidence comment la langue est un enjeu de pouvoir et de contrôle, notamment sous un gouvernement révolutionnaire (M. de Certeau,
Une Politique de la langue : la Révolution française et les patois, Paris, Gallimard, 1975). L'arabisation a été une politique développée en Algérie au sortir de la colonisation, après la guerre d'indépendance. Avant, la langue arabe n'était pas enseignée dans les écoles primaires. Il le fut par volonté politique. Il ne devint langue officielle qu'en 1963, et ce fut une volonté politique de le généraliser, au détriment des langues berbères et du français. Pourtant, ni les unes ni l'autre ne se sont éteintes. L'Algérie a fini par reconnaîre le berbère comme langue officielle, qui est davantage parlé que l'Arabe Standard moderne, qui lui reste une langue littéraire, différente de l'arabe parlé. Le français est également parlé couramment, mais n'est pas une langue officielle. Le Maroc a suivi le même chemin.